Il y a d’abord les cordes maintenues du compositeur Philippe Rombi annonçant un cadre chaud et rugueux, pourvu d’une tension qui ne lâchera Jeune et Jolie que dans son générique de fin ; puis vient la plage au corps épié par un jeune frère ; enfin l’ombre sur le corps ensoleillé, ombre prédatrice aux échos superbement expressionnistes. Tout le film se tient là, dans ce seul plan d’une ombre masculine sur un corps de femme magnifique, gorgé de soleil à la manière d’un fruit dont la maturité annonce sa chute de l’arbre qui jusqu’alors le portait. Cette ombre s’avère d’ailleurs incestueuse et perverse, elle atteste la fascination qu’exerce le féminin sur le masculin ainsi que la propension de ce dernier à triompher du premier. Car derrière l’outrance de situations captées avec froideur – la chair a rarement été aussi triste au cinéma – se cache une dénonciation virulente de la femme transformée par son image médiatique en objet de consommation, dont la féminité aussitôt éclose est aussitôt consommée, violée, ravie à sa personne avec un consentement qui n’est autre que l’application de pratiques sociétales en usage dans nos sociétés contemporaines. En creux, c’est toute une industrie médiatique de la femme instrumentalisée qui prend vie sous nos yeux. Pensé à la manière d’un récit d’apprentissage, Jeune et Jolie repose sur une savante harmonie entre le drame, une peinture de l’adolescence et des tentations qu’elle inspire, de magnifiques portraits de personnages pourtant tirés de l’insanité. Ozon parvient à restaurer du sublime dans un monde obscène, où l’humanité semble plus que jamais réduite à sa valeur monétaire. À titre d’exemple, la scène de transmission qu’il nous offre non loin du dénouement place côte à côte deux âges et deux conceptions de la féminité unies par le deuil d’une personne aimée dans un cas, appréciée dans l’autre ; la relation entre Isabelle et Alice, d’ailleurs envisagée de prime abord sous l’angle sexuel, rétablit un semblant d’ordre intergénérationnel et agit en véritable point de non-retour qui mettra un terme aux pratiques de la jeune femme. Il aura fallu causer la mort. Jeune et Jolie est une tragédie du désir adolescent, ce désir qui pousse l’être à accélérer son rythme naturel, à brimer son corps pour le faire correspondre aux images véhiculées dans les publicités ou par la gent masculine dans son ensemble (cf. personnage du beau-père). Sous ses aspects de scandale qui puise dans la provocation une énergie pouvant paraître factice et creuse, le film déconstruit la vision fantasmée de l’homme sur la femme – qui règne cependant en maître aujourd’hui – et accorde au consentement de cette femme à sa condition l’étiquette « prostitution » : c’est rappeler que la sexualité féminine tend à s’exhiber et à se déformer dangereusement dès le plus jeune âge (lire à ce titre À un Clic du pire, signé Ovidie), et qu’il n’y a rien de plus cinématographique que de renoncer au discours pour faire parler les images, les postures, les non-dits. C’est rappeler également que l’adolescence est un temps où priment l’excès et l’expérience, temps dont les erreurs doivent être comprises et pardonnées, temps sauvé par la sagesse – bien que très relative dans le film – transmise d’une femme ayant vécu à une autre qui a causé la mort en se perdant dans la simulation.