Même s'il est inachevé, voilà bien le premier film de Dolan qui me soit agréable, quand ses deux premiers puaient la pose arty et Laurence Anyways étouffait son scénario réussi sous un nouveau déluge esthétique. Tom à la ferme, je trouve, est le film d'une certaine maturité (désirée, à défaut d'être parfaitement atteinte) puisqu'il voit Dolan renoncer à son univers pop criard et hypertrophié pour s'essayer à un film plus en retenue (du moins en apparence). Sans pour autant perdre sa personnalité, puisque Dolan sait toujours se déjouer des codes et les mêler à la complexité de ses thèmes identitaires et érotiques (n'ayons pas peur du mot et regardons-le surtout dans son sens littéral). Tom à la ferme commence par un drame, celui qui voit le petit ami d'un jeune homme tout juste décédé se frotter à l'homophobie du milieu paysan de sa belle-famille. Si cette première partie peut agacer par le cliché qu'il véhicule sur le milieu rural, Dolan n'appuie rien par sa mise en scène et laisse flotter un suspens appréciable, sachant donner au démarrage de son récit un rythme retenu pour laisser présager davantage et plus complexe par la suite. Pour cause, Tom à la ferme dérive lentement vers le film de genre, et modifie clairement l'appréhension initiale des forces en présence. Plus que vers le thriller, c'est presque du côté du film noir que Dolan regarde, par le côté vénéneux et nébuleux de son intrigue, par la place laissée - enfin dans son cinéma, et ça fait du bien - à l'imagination (la scène du bar décrit le passé des personnages mieux que n'importe quel flash-back outrancier). Il est d'ailleurs franchement amusant de voir Dolan, comme beaucoup de maîtres du Noir, trouver ambiguïté et névroses chez ses personnages et dans sa diégèse par le biais d'une possible homosexualité refoulée. Au vu de la personnalité et de l'univers du réalisateur, c'est un clin d’œil sympathique à un genre pas toujours très gay-friendly (autres temps autres mœurs) autant qu'une belle preuve de recul. Un recul salvateur, qui donne un beau capital sympathie au film, qui évite justement de laisser à penser que le regard porté par Dolan sur le milieu agricole est si monochrome, d'autant que l'écheveau trouble et complexe qu'il met petit à petit en place s'éloigne du réalisme d'un drame pour appeler à des personnages aux traits initialement grossis. On navigue donc en eaux troubles, sans trop savoir ce qui dans Tom à la ferme relève d'une analyse psychologique réelle (l'impact du désir, la complexité d'une psyché, les conséquences de incommunicabilité) ou d'un simple jeu de récit, et avec le recul, je trouve ça très bien fait. Le must, c'est que si à certains passages, le film parait s'enfermer dans un registre barré et tirer un peu trop vers une outrance surréaliste, son épilogue retourne sur un terrain moins outrancier et donc d'autant plus trouble. Parce qu'après coup vient l'impression que la légère montée dans l'hystérie connue par le personnage de Tom était bien réelle, et non le simple délire d'un film résolument bigger than life. Insidieux et très subtil (pour une fois que Dolan ménage un travail d'écriture et de ton sur le long terme sans se perdre en chemin) Tom à la ferme demeure très imparfait, surtout dans la résolution de son scénario, dont certaines scènes sont inexpliquées, sans forcément amener un surplus de mystère mais parfois plutôt en laissant l'impression que Dolan n'a pas réussi à les imbriquer dans sa conclusion. Puis l'intrigue est quand même très réduite, les personnages étant peu nombreux et les enjeux un brin répétitifs. Mais pour une fois, je peux le dire sans arrière-pensée agacée ni sentiment contradictoire ; j'apprécie un film de Xavier Dolan. Avant de voir le très acclamé Mommy, je trouve ce gars-là en progrès constant.