Comme l’indique son titre, "Tom à la ferme" est le film d’un auteur qui aspire à un certain dépaysement : après avoir travesti Melvil Poupaud (dans Laurence anyways) et crucifié un jeune élève dans la cour de récréation d’un pensionnat à l’ancienne (dans le clip de College Boy), le jeune Xavier Dolan veut aujourd’hui se mettre au vert. Mais il lui faut, pour cela, un argument scénaristique : Tom (Xavier Dolan) est donc en deuil et il doit aller à la campagne pour retrouver la famille de son amant, mort dans un accident de voiture. « Quel accident ? A quelle heure ? », se demande la mère du défunt. On ne le saura jamais : peu importe, Xavier Dolan ne va pas à la campagne pour pleurer mais pour draguer. L’objet de son désir est un agriculteur rude, parfois brutal, qui fera beaucoup souffrir le pauvre Tom : lunettes écrasées, poursuite dans les champs de maïs, crachats dans la bouche, tentatives de strangulation, c’est sur le mode de l’agressivité que se déroule le fil toujours tendu du désir refoulé. Avec beaucoup d’indulgence et d’aveuglement, on pourra voir dans cette tension quelque chose d’hitchockien, avec un peu plus de lucidité, on dira plus simplement que "Tom à la ferme" permet à son auteur de creuser le sillon de l’homophobie, sujet sur lequel il s’est déjà beaucoup exprimé à l’époque de "College Boy". Ce sillon, le film le creuse en ligne droite, à l’image de cette longue route souvent filmée en vue aérienne (on ne saura jamais vraiment pourquoi) et au terme de laquelle se trouve le décor de « la ferme ». Des granges et des étables, un peu de bétail, un champ de maïs, la ferme ressemble à un village Playmobil. Il est difficile de voir exactement quel est l’intérêt de ce décor, sa fonction dans le film. « C’est du vrai, dit Tom, c’est vrai, il y a des veaux qui naissent ». Et pour nous le prouver, Xavier filme ses mains pleines de sang (voilà pour le côté « vrai », rural), mais il dit aussi à l’agriculteur désiré qu’il « pue l’étable ». L’odeur de la campagne fonctionne donc avant tout comme un carburant érotique : là est le seul enjeu du détour par la campagne. L'amour est peut-être dans le près, qui sait? Mais "Tom à la ferme" se veut aussi sombre et mélancolique : en témoignent le prologue, où Tom écrit une lettre à son amant mort, et tous les plans où l’on voit Tom pleurer, craquer, avant de faire sa "fucking" valise. Toujours surjoués, à la limite du ridicule, ces moments ne produisent aucune émotion, ils participent d’un narcissisme qui trouve son expression ultime dans la scène de tango, où la chevelure péroxydée de Xavier flotte dans le cadre au ralenti, comme celle d'une Marilyn québecoise. Le deuil n'est qu'un prétexte ou une ritournelle (« Tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon cœur »), le vide laissé par la mort étant bien vite comblé par le désir d’un autre corps. Sur la photo qui représente l’amant disparu, on ne voit déjà plus que Sara, le personnage féminin qui arrive dans le dernier tiers du film, habillée comme Cyndi Lauper dans les années 80 (car Xavier s'occupe aussi des costumes). Quand Sara arrive, le mort est réduit à une petite boîte à souvenirs que l’on ouvre comme une pochette surprise : étonnant plan cadré depuis l’intérieur de la boîte, on ne saura jamais vraiment pourquoi. Exclu de la voiture dans laquelle se forme un couple (l’agriculteur local + Sara), Tom souffre alors d’insomnies: il se lève en pleine nuit pour nettoyer le frigo de la maison et faire les étables, comme si le désir et la fascination qu’il éprouvait pour l’agriculteur du coin l’avaient transformé à la fois en femme au foyer et en garçon de ferme. Le film crée alors une zone d'indécision qui aurait pu être intéressante mais Tom en a marre et il fait sa "fucking" valise pour mettre un terme à son séjour en gîte rural. Un séjour pour rien dans un gîte très inconfortable. Tom a quand même eu l'occasion de danser un tango dans une étable, mais l'amour n'était pas dans le pré.