En toute modestie, The Drop pourrait se vanter de représenter ce que le cinéma pourrait faire de plus international. Adapté du scénario d’un écrivain américain, un metteur en scène et son acteur fétiche, tous deux belges, côtoient un acteur italo-américain, un britannique et une suédoise. Quoi de plus rassembleur donc que le cinéma? Outre cette étrange mais bénéfique croisée des chemins, un scénario écrit par un formidable romancier, Dennis Lehane, adapté par un réalisateur européen des plus prometteurs, Michael R. Roskam, l’auteur de Bullhead, ainsi que le présence au casting d’exceptionnels comédiens, le tout donnait fortement envie. A tort à ou à raison? Fort d’une mise en scène tranchante, respectueuse des codes propres au polar, d’un casting monumental et d’un récit à tiroirs, il convient de trancher. Le film est une réussite, aussi attachant que le chiot adopté tout en étant aussi noir et froid que les yeux du même chien, un pitbull adulte.
Il faut reconnaître que le romancier bostonien sait y faire avec la narration, ayant été adapté au cinéma précédemment et ayant concouru au succès de la série de David Simon, The Wire. Le simple nom de Dennis Lehane semble être gage de qualité sur le marché du scénario, au même titre que sur le papier. Quand à Michael R. Roskam, traînant dans son sillage le formidable Matthias Schoenaerts, on ne peut faire l’impasse sur la qualité de leur précédente collaboration. Ajoutons donc à cela le très prolifique et admirable Tom Hardy, la charismatique Noomi Rapace et le très regretté, autant que charismatique, James Gandolfini. Tout cela pourrait alors s’apparenter à un rêve éveillé pour tous amateurs de cinéma contemporain. Mais quand est-il vraiment de The Drop, outre son formidable réseau d’artiste? Eh bien un polar clairvoyant qui fait la part belle à l’humanité, au réalisme et dressant un portrait glaçant de la société crapuleuse des banlieues oubliées de la Grosse Pomme.
Ici, aucune gloire à la façon Le Parrain, aucune violence gratuite à la manière si jouissive d’un Martin Scorsese. Non, nous ne retrouvons ici que l’essence même du film noir, soit une certaine forme de noirceur très réaliste. Intéressé par des tenanciers de bars, bouge faisant office de bar de dépôt pour la pègre du coin, nous découvrirons que l’appât du gain, la malhonnêteté sont indissociable de cet univers gangréné. Si James Gandolfini et Matthias Schoenaerts incarnent des personnages relativement conventionnels, l’inconnue qui prédomine tout du long est de quel bois est fait Bob, ce barmen douteux incarné par Tom Hardy. La réponse sera cinglante. C’est sans doute là la force du script, de la nouvelle, de Lehane, auteur qui adore qu’on ne le voit venir que partiellement. Tout ça finira mal, on le sait. Du moins, on le suppose. Et quand est-il du chiot? Atout mignon du film? En fait, bien plus que ça.
Si globalement le film n’est jamais transcendant, il respecte les us et coutumes du film noir américain ainsi qu’il démontre la possibilité de briller pour des artisans du cinéma européens doués et pleins de bonnes intentions. Quelque part entre les classiques de grands cinéastes de la fin du siècle dernier et la noirceur des films plus récents de James Gray, il semble que le belge Michael R. Roskam soit en mesure de se faire un nom Outre-Atlantique. C’est du moins tout ce qu’on lui souhaite, de même que pour son compatriote, Matthias Schoenaerts. Mais par-dessus toute consédiration en rapport à The Drop, le film est l’occasion ultime de retrouver un brillant acteur aujourd’hui disparu. C’est en effet là la dernière apparition sur les écrans d’un monstre sacré, James Gandolfini, le Tony Soprano éternel de HBO, un grand bonhomme sur Braodway et finalement une tronche de légende du cinéma depuis son passage mémorable dans le True Romance de Tony Scott. On ne t’oubliera pas, James. Rien que pour ça, The Drop mérite d’être vu. 16/20