Partir du désoeuvrement et de la laideur d'aujourd'hui pour raconter, encore, une histoire à Los Angeles, tel est le défi que s’est lancé Bret Easton Ellis en écrivant le scénario de "The Canyons". Celui-ci s’apparente en réalité à une adaptation de "Suites impériales" (2010) : dans ce roman, il était question du retour à L.A de Clay, le narrateur de "Moins que zéro", vingt-cinq ans après l’écriture du roman qui a fait la renommée d’Ellis. Les premières pages sont particulièrement intéressantes, elles procèdent à une critique de l’auteur (Ellis) par son propre personnage (Clay) : « En lisant ces scènes nous concernant, Blair et moi, je m’étais rendu compte qu’il [Ellis] n’était proche d’aucun de nous – à l’exception de Blair, bien sûr, et encore pas même d’elle, vraiment. C’était simplement quelqu’un qui flottait au milieu de nos vies et n’avait pas l’air gêné par sa perception stéréotypée de chacun de nous ou par le fait qu’il dévoilait nos échecs les plus secrets au monde entier, préférant glorifier l’indifférence juvénile, le nihilisme rutilant, donner l’éclat du glamour à toute l’horreur du truc (1) ». Ce que Clay pense d’Ellis (ou ce qu’Ellis pense aujourd’hui de lui-même ?), je le pense du film de Schrader, même si je dois apporter quelques nuances : il n’y a aucun «éclat de glamour » dans "The Canyons", si le film avait visé le glamour, le rôle de Tara n’aurait pas été confié à Lindsay Lohan, dont Schrader filme avant tout la très grande fatigue. Moins qu’un stéréotype, elle apparaît surtout comme un symbole pour l’ancien scénariste de Scorsese : bouffie et déchue comme l’était autrefois De Niro dans "Raging Bull", son chemin de croix semble être derrière elle et il faut reconnaître qu’elle apporte au film quelque chose de vivant sous son nihilisme clinquant. Bien que Schrader ait renoncé à son symbolisme mystique, sa façon d’appréhender le personnage de Tara reste très grossière : dans un film qui ne cesse de montrer des images de cinéma désaffecté, Tara incarne la mort du glamour et de la star, Tara représente la bête à sacrifier sur l’autel de la mort du cinéma. D’où ce regard de rapace qui pèse constamment sur le visage Lindsay Lohan, regard froid, sans compassion, qui est aussi celui d’Ellis sur la jeunesse L.A dans "Suites impériales". C’est en ce sens que The Canyons reste anecdotique et banal alors qu’il aurait pu être grand et puissant : Lindsay Lohan est simplement la caution people dont Ellis et Schrader ont besoin pour développer leur discours de vieux sur la vanité de la célébrité et la fin du cinéma.