Quelle mouche a donc piqué René Feret, que l'on connaît plutôt comme un cinéaste du quotidien et des petites gens, pour qu'il porte au cinéma le roman culte de Gladys Huntington, tout à la fois vieillot dans son environnement et sulfureux dans son sujet? A priori, il n'était pas du tout l'homme de la situation; et la seule explication que l'on trouve, c'est qu'il a voulu mettre en valeur la beauté intemporelle de sa fille, Marie Féret, qu'il filme en impressionniste. Marie Feret, sous ses canotiers aux ruchés de dentelle, semble peinte par Manet et, bien que ses prunelles soient plutôt bleu marine, elle a le regard noir de Berthe Morizot. Souriante, quand on la regarde, puis morne et toute plongée dans son désert intérieur dès lors qu'elle se retrouve seule, elle est magnifique. Dans l'extrême raffinement des costumes, dans la méticulosité des décors, c'est tout le début du siècle précédent, insouciant et charmant à la Renoir, et en même temps étouffant, que Feret restitue.
Ça passe dans un hôtel élégant des rives du lac de Côme, où une société cosmopolite villégiature, fréquentant aussi les non moins distingués occupants des villas voisines. Entre deux tours de valse et trois tours de vélo, une visite de château et une partie de canotage, on flirte et on cancane. Ellen /Natalia pense qu'on ne sait rien d'elle? Mais si, on sait bien qu'elle a été surprise avec son beau père, et que son frère a tiré sur celui çi. Le beau père n'a pas porté plainte, mais Eugène (excellent Cyril Descours!) a été exilé au Chili. Et c'est bien lui qui revient, charmeur, manipulateur, maléfique. De quoi exciter l'imagination de ce microcosme désoeuvré....
Il y a un couple désassorti dont la femme est toute prête à céder à Eugène, et le mari, à Natalia; il y a comte russe sanguin et follement amoureux; une petite chipie d'héritière belge (Salomé Stévenin) qui aimerait tellement retenir Eugène; et le narrateur, un jeune lord anglais, à peine sorti de l'adolescence, prêt à tout lui aussi pour sauver cette femme mystérieuse.... mais, victime et bourreau, elle disparaîtra avec Eugène. Ils emmèneront ailleurs leur couple passionnément incestueux et iront ailleurs faire d'autres victimes parmi les papillons mondains attirés par leur beauté.
Fiulm démodé? Complètement! Raison de plus pour aller le voir? Car il faut du culot par se placer ainsi, délibéremment, en dehors du it cinéma.... Ne ratez pas ce film élégamment pervers