A nouveau et à grands coups de spoilers - je vous aurais prévenus - me voilà prêt à m'ériger en défenseur de Ridley Scott, après Prometheus et Cartel, déjà plutôt rudoyés par le public. Ce qu'on reproche, cette fois, à Exodus, c'est son rapport à la divinité, soit précisément ce qui me plaît le plus. Cinéaste spécialiste des fresques historiques, donc des époques fortement imprégnées par un esprit religieux, Scott n'a pourtant jamais réellement embrassé la fibre théiste de ses récits, préférant par exemple déplorer le fanatisme dans Kingdom of Heaven ou développer une démarche spirituelle plus humaniste dans Gladiator. Cette fois, il va encore plus loin, attaquant de front l'un des piliers fondateurs des trois religions du livre en en fournissant une vision complètement désacralisante. Souvent reçu comme un cinéaste athée, Sir Ridley s'estime en fait agnostique, et met tout en oeuvre pour narrer de façon intelligente et précise l'impossibilité de l'Homme d'accéder à une connaissance réelle ou certaine des choses divines, par essence transcendantes. L'apparition de Dieu à Moïse, par exemple, ne peut se faire que dans la douleur, à travers l'ascension d'une montagne pour le moins accidentée. Mais Scott ne s'arrête pas là dans son édification de la foi comme quête ardue et exigeante, Moïse recevant lors d'un éboulis une pierre sur la tête qui l'assomme. Serait-il impossible, puisque le personnage ne peut accéder au sommet, de parfaire la recherche de Dieu, d'accéder à une certitude définitive ? C'est en fait consécutivement au choc reçu dans sa chute que Moïse trouve Dieu, qui finit par lui apparaître sous la forme d'un enfant, dans ce qui peut presque apparaître comme un errement schizophrénique. De cette ambiguïté entre littéralité religieuse et réalisme matérialiste, Exodus ne s'en départira plus, notamment lors de sa déclinaison des plaies d'Egypte ou de la traversée de la mer Rouge. Une vision moderne et d'un scepticisme très juste, à mon avis acceptable par tout un chacun, même les plus croyants des spectateurs, pour peu de faire preuve d'un peu d'ouverture d'esprit et de travail sur soi-même. Au final, j'aurais même aimé que Scott aille plus loin encore dans cette remise en perspective, par exemple en creusant vraiment le rapport de Ramsès à ses propres figures sacrées, pour vraiment faire de la religion un élan humain, constitutif de notre psyché, et non une chose d'impulsion divine. Là où Exodus dérange sans doute vraiment, c'est quand même dans la figuration de Dieu lui-même. La théophanie du buisson ardent est donc oubliée, et le Créateur n'apparaît donc que sous la forme d'un enfant, colérique, arbitraire. De quoi battre complètement en brèche une lecture trop dévote et sans distanciation des livres fondateurs, sous peine de ne trouver en guise de Dieu qu'une entité inhumaine. "C'est ça ton Dieu ? Un tueur d'enfants ?" Dommage, d'ailleurs, que Ridley Scott cède à un traitement trop lissé quant à l'utilisation de la violence, trop parcimonieuse. La violence barbare et ubiquitaire de l'Ancien Testament n'est pas restituée, et c'est d'autant plus dommage qu'elle explique très bien la nécessité de se construire des repères moraux en contrepoint. Voilà qui aurait été une pierre de plus dans la construction de cette recherche sur la quête de Dieu. Qu'importe, dans le fond, Exodus me plaît énormément, aussi parce que ses partis pris ambigus redonnent à la Foi, la Foi véritable, sa vraie valeur, sans cesse galvaudée un peu partout dans le Monde par les religions principales, sectaires, dogmatiques, qui ne laissent que peu de place à une vraie démarche intime et personnelle en contraignant le cadre du divin par une histoire, des traditions qui abolissent la nécessité d'introspection. Mais Scott et sa proposition ambigu qui frise le matérialisme passent donc par là. Concrètement, quel mérite y a t-il à croire en un dieu qui ouvre la mer Rouge comme une autoroute, de façon rectiligne, évidente. Ce genre de foi n'est que contrainte, obligation et évidence. Au contraire, choisir véritablement de croire malgré le doute que Scott instille, comme peut le faire Moïse quand il emmène son peuple dans les eaux alors qu'aucune certitude véritable ne l'anime, n'est-il pas la preuve d'une démarche réelle et profonde ? Foi pourtant acquise dans la douleur, Scott insistant en désincarnant quelque peu le rôle accordé à Christian Bale pour dessiner le rôle de Moïse comme un poids, une charge qui l'éloigne de sa famille par souci de préserver son intégrité mentale plutôt que par conscience de sa responsabilité. Croire n'est donc pas une obligation, semble nous dire Exodus, et la foi est une chose qu'on doit embrasser, pas subir. Un message qui me semble très sensé, et qui me fait voir Sir Ridley comme un véritable auteur, derrière le faiseur habile qu'on connait si bien et qui tombe ici quelque peu dans le piège du spectacle à tout prix, négligeant quelque peu ses personnages et le souffle de son récit. Le casting a priori plutôt inadapté, s'en tire bien, même si Aaron Paul et Sigourney Weaver n'ont qu'un rôle décoratif. Nouvelle très bonne prestation de Joel Edgerton, acteur que j'aime décidément beaucoup, imposant et très consistant. Un péplum moderne, qui compense son manque séquentiel d'allant par une profondeur appréciable et une vision originale. Et un nouveau Ridley Scott à mes yeux injustement bashé.