Le cinéma sud-coréen est-il redondant dans son cycle de violence ? C’est le questionnement qui suit la projection de Pieta de Kim Ki-Duk présenté Hors-compétition à Deauville après son triomphe (surprenant) au Festival de Venise, Lion d’Or. Le cinéma sud-coréen contemporain dispose d’un double visage. Il montre côté face un cinéma asiatique plus conventionnel avec le partage de la contemplation, avec la glorification du détail pour montrer la généralité et une certaine volonté romantique de faire jouer la nature dans l’échantillon sentimentale de l’homme. Mais côté pile, c’est la spécificité de l’horreur-thriller hémophile qui prime. C’est par le second que le cinéma sud-coréen est parvenu à exploser sur les écrans internationaux (exception faite d’Hong Sang-Soo) en livrant tant des chefs d’œuvres (Mother de Joon-Ho Bong en 2010) que des premiers films magistraux (The Chaser de Hong-Ji Na en 2009). Cependant, le cinéma sud-coréen tourne à vide et s’essouffle dans une surenchère visuel du malsain qui n’est digne ni des réalisateurs ni des spectateurs. Il est étonnant d’ailleurs que ce soit seulement maintenant que le cinéma sud-coréen est récompensé dans l’un des grands festivals européens (Venise, Berlin, Cannes). C’est par une œuvre qui accumule les limites et les travers du cinéma de genre que les couleurs du pays sont glorifiées.
Le plus navrant, c’est que Kim Ki-Duk passe ainsi à côté d’un scénario brillant jouant sur les notions de bourreau et de victime : comment expliquer le passage de l’un à l’autre ? Le manque, la famille, la solitude. Pour Kang-Do (Lee Jung-Jin) se sera l’absence maternelle qui l’amène dans l’engrenage de l’horreur et de la perte de l’humanité. Il est une machine sans sentiment qui estropie pour le compte de la mafia des artisans sans le sous qui survivent seulement par l’emprunt illégal. Ses victimes deviennent alors, dans un décor froid et métallique, les représentants d’une Corée du Sud (a)vide dont seul les fraudes à l’assurance assure une subsistance voire un avenir. L’image est poussée à son paroxysme lorsque Kang-Do se voit proposer par une jeune victime d’être rendu invalide « accidentellement » des deux bras pour toucher une plus grosse assurance et ainsi pouvoir enfin offrir un avenir à son fils naissant. Kim Ki-Duk semble réussir son film seulement dans cette dimension sociale et tacite. Ce n’est pas là que seul le réalisme social fonctionne au cinéma (au contraire, c’est une overdose) mais Kim Ki-Duk donne ainsi une finalité à un film vain.
La Pieta est ici ironique avec un glissement du bien vers le mal : le Christ devient un orphelin sans humanité, et la Vierge une simple femme nourrit par la vengeance. Seule la force de la présence maternelle allie les deux opposés. La mère, jouée par la magistrale Cho Min-Soo, aurait pu être une porte de sortie pour Kim Ki-Duk. Mais plutôt que d’utiliser sa trame narrative, il se vautre dans la complaisance et dans la gratuité. Pieta, c’est le paroxysme de la surenchère visuelle. Il suffit de laisser les premières minutes du long-métrage s’écouler pour comprendre le principe de Kim Ki-Duk : mettre à mal le spectateur coûte que coûte, quitte à faire un film « too much ». On accumule alors bêtement les vices : la violence des nombreuses exactions, le morbide des viscères animales placés nonchalamment sur le carrelage de la salle de bain, et les symboles de vanités artistiques. Mais là où le film tend vers le risible, c’est lorsqu’il prend un tournant sexuel morbide entre un fils et sa mère. Bousculer le spectateur est une bonne chose, mais le faire gratuitement en instaurant une sexualité inutile juste pout grossir les traits d’un personnage ou la noirceur d’un film, non ! Tout est gratuit dans Pieta, et donc tout est finalement vain.
Kim Ki-Duk représente alors les limites du cinéma sud-coréen dont les codes et les ficelles ne surprennent plus un spectateur habitué à l’horreur est au gore. C’est sans doute l’overdose d’une façon de faire qui ne varie pas ou peu. La question est donc : pourquoi célébrer maintenant le cinéma coréen ?