L'esprit de 45, de l'autre côté de la Manche, c'est un peu l'esprit de 36 ici. Et l'esprit de 36 ici, toutes proportions gardées, c'est un peu l'esprit de 17 à Saint-Pétersbourg, affrontements sanglants et massacre de famille royale en moins. Des avancées sociales, l'émancipation de la classe ouvrière... mais aussi des lendemains qui déchantent (les purges et le totalitarisme en Russie, la défaite et la collaboration en France, Margaret Thatcher en Angleterre). Donc, si quelques spectateurs inattentifs (ou alors très cons) doutaient encore du bord politique vers lequel penche Ken Loach, ce documentaire devraient parfaitement les éclairer (ou alors, ils sont vraiment très, très inattentifs...) : le type est un sale gauchiste. Et fier de l'être ! En donnant la parole à des vétérans témoins et acteurs des réformes sociales engagées en Grande-Bretagne par le gouvernement travailliste après la Seconde Guerre mondiale (un peu comme le programme du CNR chez nous), Loach appelle ouvertement à la lutte anticapitaliste pour résoudre les problèmes actuels. Sur le fond, son intention, aussi louable soit-elle, est quand même mise à mal par un discours assez maladroitement martelé, et par un nombre incalculable de portes ouvertes enfoncées. Bref, le discours sans la méthode. Et si on se laisse parfois toucher par quelques témoignages émouvants ou révoltants, on regrette un certain manque de distance et d'humour (anglais), même si celui-ci pointe quand même par endroits. Sur la forme, pour les points positifs : un très bon montage d'images d'archives et une bande-son composée de sympathiques rengaines des années 40. Pour les points négatifs : le symbolisme pachydermique du basculement du noir et blanc vers la couleur à la fin du film (hier, aujourd'hui, même merde, mêmes combats à mener...) et la musique originale de George Fenton qui appuie un peu trop lourdement les témoignages les plus dramatiques ou certains documents d'archives (à chaque apparition de la Dame de Fer, on a l'impression de voir arriver un méchant de western). Quand il s'agit de faire passer un message, Ken Loach fait rarement dans la finesse ou la demi-mesure. "L'Esprit de 45" ne fait pas exception à la règle, on le sait, mais on l'aime bien quand même. Non, d'une manière plus générale, ce qui est un peu gênant et agaçant (et qui en dit long sur la société), c'est qu'on soit toujours obligé de convoquer les anciens pour réveiller les consciences de la jeunesse. Ok, dans leur temps, avec leurs moyens, tous ces vénérables vieillards se sont battus. Mais on est bien obliger de constater qu'ils ont perdu... Et on se demande si finalement, plutôt que le sage Spirit of '45, il ne vaudrait pas mieux voir souffler à nouveau l'éphémère Spirit of '77. No Future ?