Ma nuit chez Maud est la tension morale et amoureuse qui traverse Jean-Louis, un homme mûr de 34 ans. Avec son long manteau noir et son air renfermé, il nous est présenté comme un ingénieur austère. Pendant son temps libre, il lit Pascal ou révise ses maths. Il habite seul.
Quand il repère Françoise à la messe, sa décision sera vite prise : il ne la connaît pas, mais elle sera sa femme. Parmi toutes les fidèles ce dimanche, c’est elle la plus blonde, et la plus fervente. À la sortie de la messe, il la suit. À ce stade du film, il pourrait très bien être un psychopathe.
Sa langue commence à se délier lorsqu’il rencontre Vidal par hasard, mais on le voit se tordre les mains. Quelques jours plus tard chez Maud, il se montre d’abord effacé. C’est au cours de la soirée cependant, au contact de Maud qui le provoque souvent (« vous me choquez beaucoup », « vous n’êtes pas très gentil ce soir », « je vous trouve bien scandaleux », lui dit-elle), qu’il commence à s’animer. On rencontre alors un nouveau Jean-Louis, celui qui plaît aux femmes et qui en joue. Après sa nuit chez Maud, il troquera d’ailleurs son long manteau noir pour un blouson plus bad-boy et abandonnera sa cravate. Plus tard, il dira à Maud qu’elle l’a fait progressé moralement. Peut-être en effet l’a-t-elle rendu moins taciturne, plus vivant. Quel rapport avec la moralité ? Les nombreux sermons qui ponctuent le film célèbrent « l’aventure de la vie » et « la joie d’aujourd’hui ». Jean-Louis se disait déjà bon vivant, mais Maud transforme ses paroles en actes et le rend finalement plus chrétien.
Revenons à sa nuit chez Maud. Jean-Louis défend son mode de vie : oui, il eu des aventures, mais quand il se mariera il restera fidèle ; oui, il n’est pas un saint, mais le siècle est accepté par l’Eglise ; non, il ne pariera pas, quel intérêt ? il a déjà son propre destin. Dans ses paroles, il semble sûr de lui. Dans sa vie, il ne lui apparaît que des choix simples. Par exemple, il a toujours échappé au dilemme de coucher ou non avec une fille pour un soir seulement, ce qui irait contre son idée de l’amour.
Mais le destin le provoque et Jean-Louis se retrouve pris au piège chez Maud, nue dans son lit. Sa confusion est comique : il est gêné (il se ligote puritainement dans un plaid pour garder la nuit chaste), hésitant (doit-il partir, rester ?), tiraillé (l’embrasser, puis la rejeter). Avec Maud, il n’est plus maître de lui.
Le lendemain, alors même qu’il vient d’aborder Françoise pour la première fois, il se montre incroyablement tendre avec Maud. Il l’enlace, lui parle de mariage… « c’est fou ce que je me sens bien avec vous », lui dit-il. Il nie l’existence de « la blonde ». C’est une scène romantique, ils s’attirent l’un vers l’autre, s’échangent des mots doux. Est-il sincère, ou joue-t-il au Don Juan ? De toute façon, Maud quitte Clermont – encore une fois, les « circonstances » qui arrangent bien Jean-Louis le sépare d’une femme. Le destin choisit pour lui, il ne reste plus que Françoise.
Alors que Maud est clairement entreprenante – elle insiste pour qu’il reste dormir, l’invite dans son lit, lui propose de l’accompagner faire les courses –, avec Françoise, c’est Jean-Louis qui prend toutes les initiatives. Il l’aborde, propose de la raccompagner, tente un premier baiser. Elle est réceptive et avenante la plupart du temps, mais lui refuse ce baiser. Les circonstances les amènent à dormir sous le même toit, mais pas question de faire lit commun comme chez Maud. D’ailleurs, quand il vient la voir dans sa chambre pour lui demander du feu et la surprend au lit, elle se montre très froide. Avec elle, ce ne sera donc pas l’amour passion. La nuit qu’il passe chez Françoise est à l’opposé de celle qu’il a vécu avec Maud. On se couche tôt, et dans des pièces différentes. Pas de tension sensuelle, Françoise paraît fille quand Maud était femme.
Pourtant, c’est à Françoise que Jean-Louis déclare sa flamme, dès le lendemain matin. « Je vous aime ».
Cinq and plus tard en vacances, Jean-Louis, désormais marié à Françoise et père d’un petit garçon, rencontre Maud par hasard. Françoise fait peine à voir, avec son fichu et sa robe bien sage. Jean-Louis marche devant elle, et non avec. Maud, elle, est plus sensuelle que jamais. Elle rayonne, les cheveux au vent. Derrière son sourire elle avoue cependant que son nouveau mariage n’est pas heureux. Pour elle, le destin aura donc été cruel : deux mariages ratés, l’amour de sa vie mort, Jean-Louis avec une autre.
Si Jean-Louis s’attarde, il finit par rejoindre sa famille. Il comprend certaines choses – sa femme avait été la maîtresse de l’ancien mari de Maud. « N’en parlons plus », dit Françoise, qui symboliquement enlève sa ceinture, se déshabille, et court à la mer avec son enfant. Elle n’est pas que l’épouse et la mère, elle est aussi une femme gaie qui vient de se libérer de son passé. Jean-Louis finit par les rejoindre.
S’il avait été pascalien, il aurait parié sur Maud. Il choisit plutôt Françoise, l’amour qui ne faisait pas rêver, l’amour sous condition (blonde et catholique) que lui reprochait Maud. Il a préféré suivre ce qu’il pensait être son destin. En fait, il a peut-être même parié sur son destin plutôt que sur Maud. En tout cas, il finit heureux et c’est nous, les spectateurs, qui sommes tristes de la victoire de l’amour-raison.