Présentée dans la catégorie hors-compétition à la Mostra de Venise, la cinquième réalisation du grand Mel Gibson fut ovationnée pendant près de dix minutes par le public. Une preuve que son nouveau film Tu ne tueras point est bel et bien celui de sa résurrection en tant que metteur en scène. Avec cette incroyable histoire vraie prenant place durant la Seconde Guerre mondiale et dans le cadre de la guerre que menèrent les Etats-Unis contre l’Empire japonais dans l’océan Pacifique, Mel « Mad Max » Gibson livre en effet un impressionnant film de guerre, un choc brutal et terrassant, une expérience de cinéma éprouvante et bouleversante, bref un des films les plus bluffants qu’on ait vu de l’année 2016 ! Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, Desmond Doss, un jeune américain, se retrouvé confronté à un dilemme : comme n’importe lequel de ses compatriotes, il veut servir son pays, mais la violence est incompatible avec ses croyances et ses principes moraux. Il s’oppose ne serait-ce qu’à tenir une arme et refuse d’autant plus de tuer. Il s’engage tout de même dans l’infanterie comme médecin. Son refus d’infléchir ses convictions lui valut d’être rudement mené par ses camarades et sa hiérarchie, mais c’est, armé de sa seule foi, qu’il est entré dans l’enfer de la guerre. Lors de la bataille d’Okinawa sur l’imprenable falaise de Maeda, il réussit à sauver des dizaines de vies seul sous le feu de l’ennemi, ramenant en sureté, du champ de bataille, un à un les soldats blessés. Il aura donc fallu attendre dix ans pour que le fascinant réalisateur qui sommeille en Mel Gibson se réveille pour nous offrir un tout nouveau film. Après le très réussi et immersif Apocalypto qui nous plongeait dans la décadence de la civilisation maya et la traque d’un jeune guerrier, l’acteur-réalisateur nous revient avec un nouveau film forcément évènement, en cette année 2016 placée pour lui sous le signe d’un incroyable come-back ! En effet, il se trouve qu’à la fin de l’été, Mel Gibson a su briller pour certains dans le film du réalisateur français Jean-François Richet intitulé Blood Father, initiant ainsi un joli retour sur le devant de la scène en tant qu’acteur. Mais le come-back de cette personnalité aussi déviante et incontrôlable que Mel Gibson ne pouvait être aussi réussi sans un retour derrière la caméra pour une cinquième réalisation et prouver qu’il n’a pas totalement disparu des radars. Et désormais, après avoir vu Tu ne tueras point, nous pouvons dire que oui, Mel Gibson est bel et bien de retour, un retour fracassant qui fait à la fois plaisir mais qui fait aussi très mal tant son dernier film est éprouvant pour le spectateur car rempli d’images chocs ! L’acteur des franchises cultes Mad Max et L’Arme Fatale est en effet connu, depuis qu’il est devenu réalisateur, pour aborder des sujets forts et puissants où la violence occupe une place centrale, quitte à entraîner des polémiques. Mel Gibson réalisateur c’est ça : une première petite réalisation sortie en 1994, L’Homme sans Visage, puis vint l’énorme succès qui lui a apporté la gloire et les Oscars du Meilleur film et du Meilleur réalisateur en 1995, Braveheart probablement son meilleur film. Après, il fallut attendre 2004 pour que Mel Gibson sorte son troisième film, le très polémique et rentable La Passion du Christ qui lança la mode du film religieux à Hollywood. Après le gros succès de son adaptation des dernières heures de la vie de Jésus, Mel Gibson livra en 2007 son Apocalypto centré sur les Mayas et impressionna une fois de plus dans la reconstitution et la mise en scène d’une époque perdue. Et donc dix ans plus tard, avec Tu ne tueras point, Mel Gibson prouve qu’il n’a rien perdu de son talent et propose un vrai grand film de guerre qui marquera les esprits encore et encore dans les années à venir. Lorsque la bande-annonce, magnifique, est sortie j’ai rapidement compris que Mel Gibson allait signer un film choc et éprouvant en adaptant une histoire vraie qui ne pouvait au final n’être mise en scène que par lui-même. Pourquoi ? Car nous retrouvons les grands thèmes qui obsèdent le réalisateur : la violence et la religion. Et ce qui frappe dans Tu ne tueras point c’est cette simplicité et modestie avec laquelle le réalisateur nous raconte cette histoire vraie méconnue qui prend aux tripes comme jamais. Pas d’excès de violence, pas de glorification de l’armée américaine, pas de sous-texte religieux dégoulinant et pompeux, non, Tu ne tueras point est un film de guerre puissant certes mais qui sait conserver la parfaite justesse et efficacité pour illustrer les propos de Mel Gibson. Le metteur en scène à divisé son film en deux partie bien distinctes : la première se concentrant sur la vie de Desmond Doss, adventiste et objecteur de conscience, qui s’engage dans l’armée américaine pour non pas prendre des vies comme il l’explique mais pour en sauver. Le film réussit à nous emporter dans le procès qui est fait au personnage et nous présente parfaitement bien ses croyances et le pourquoi de son engagement. Desmond Doss est effet le premier objecteur de conscience américain à avoir été décoré de la Medal of Honor pour ses actes héroïques durant cette bataille d’Hacksaw Ridge (titre original du film). L’objection de conscience est en effet une attitude individuelle de refus d’accomplir certains actes requis par une autorité lorsqu’ils sont jugés par l’individu en contradiction avec des convictions intimes de nature religieuse, philosophique ou sentimentale. L’objection de conscience intervient principalement dans le cadre militaire où elle désigne plus précisément le refus d’accomplir ses obligations militaires comme l’enrôlement ou le service militaire lui-même en s’appuyant sur des opinions philosophiques, morales ou religieuses, qui prônent le respect de la vie humaine. Un sujet passionnant et beau qui donna donc matière à Mel Gibson pour adapter la vie incroyable de cet homme hors du commun que fut Desmond Doss, objecteur de conscience plus que courageux qui s’engagea volontairement dans l’armée et sauva 75 vies durant la terrible bataille d’Hacksaw Ridge sans porter une seule arme. Un sujet qui semblait compatible avec les thèmes chers à Mel Gibson dans sa filmographie. Après une première partie teintée de sentimentalisme (un peu mièvre par moment je vous l’accorde) et d’un débat très intéressant et virulent au sein de l’armée sur la conscience d’un homme motivé pour servir son pays sans toucher un fusil, la deuxième partie se distingue fortement avec l’ambiance de la première. Place en effet à l’horreur pure de la guerre comme si nous étions pour de vrai avec une vision impressionnante de cette bataille qui fut très meurtrière. Beaucoup de films ont su montrer le caractère extrêmement brutal de cette Seconde Guerre mondiale, nous savons qu’il s’agissait d’une boucherie comme nous l’a montré Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg par exemple. Et Mel Gibson, par respect et pour renforcer la reconstitution historique, décide également de montrer l’extrême violence des combats qui, malgré l’hémoglobine très fréquente, n’entrent pas dans un trop plein de gore et de violence gratuite pour le fun mais qui sont montrés avec réalisme, gravité et respect pour tous ces hommes morts dans l’enfer le plus total et inimaginable. Avec ses scènes de guerre à nous décoller la mâchoire, Tu ne tueras point se hisse parmi les films de guerre les plus impressionnants jamais vu sur grand écran. La mise en scène de Mel Gibson est incroyable et réussi à nous immerger dans l’horreur d’Hacksaw Ridge. Par exemple, l’arrivée des soldats américains que nous suivons durant tout le film devant la falaise est juste parfaite pour l’immersion du spectateur. Mel Gibson fait en effet petit à petit monter la tension et le suspense en nous montrant d’abord l’immense falaise avec au-dessus d’elle un ciel sombre inquiétant. Les bombardements de la marine de guerre embrasent ensuite le champ de bataille tels les feux de l’enfer qui se déchaînent sur terre. Et vient ensuite le moment de l’escalade où les soldats découvrent que les gouttes qui tachent leur uniforme ne sont pas de la pluie mais du sang. Le spectateur commence alors à ressentir une forme d’angoisse en découvrant un champ de bataille fumant, silencieux et lunaire peuplé de cadavres, de tripes, de membres arrachés et de rats. Puis tel un coup de tonnerre la guerre éclate sous nos yeux. Des balles sifflent, des explosions assourdissantes, des flammes, des corps réduits en charpie, des soldats transpercés par les balles, des cris de peur et de désespoir, du sang qui se répand sur le sol,… bref Mel Gibson nous entraîne dans une bataille éprouvante, d’une extrême violence et offre des scènes de guerre saisissantes de réalisme et complètement psychopathes avec une intensité comme on n’en avait pas vue depuis Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. La deuxième partie de Tu ne tueras point est véritablement un déchaînement de violence inouïe comme sait si bien le faire Mel Gibson mais c’est aussi le moment de l’illustration du courage de Desmond Doss qui, sans une seule arme, parviendra à sauver 75 soldats, japonais et américains, de cet enfer. Le réalisateur de Braveheart retrouve ainsi tout son souffle dans cette bataille d’Hacksaw Ridge et traite brillamment l’acte héroïque de Desmond Doss qui guidé par sa foi fit quelque chose que l’on pourrait qualifier de surhumain. Or il s’agit d’un homme, un simple infirmier et objecteur de conscience, qui motivé par ses croyances sauva toutes ses vies de l’horreur, et le film nous le montre d’une manière admirable et prouve dans ses dernières minutes avec les témoignages des vrais protagonistes de la bataille que tout était vrai. Poignant. Porté par un Andrew Garfield habité qui compose une très belle interprétation de Desmond Doss pleine d’innocence et de volonté ainsi que par de très bon seconds rôles en les personnes de Teresa Palmer, Vince Vaughn et Sam Worthington, Tu ne tueras point est un véritable retour en grâce de Mel Gibson qui offre au cinéma un film choc et puissant où le courage et la foi d’un homme surpassent la barbarie de la guerre. Un film marquant par ses scènes de guerre impressionnantes mais aussi par ses propos et l’histoire vraie incroyable qu’il nous raconte. Un grand film tout court, presque un vrai chef-d’œuvre de cinéma, qui nous reste en mémoire après l’expérience ahurissante et traumatique qu’il nous a fait vivre.