Il aura fallu 10 ans à Mel Gibson pour repasser derrière la caméra, 10 ans après son Apocalypto qui l'avait propulser au rang d'esthète de talent et qui re-dynamisait l'intérêt qu'on pouvait avoir pour sa carrière de metteur en scène. Mais depuis, il a accumulé les problèmes au point que ces dernières années sa carrière fut déclinante mais il entend bien changer ça en 2016. Après le sympathique Blood Father où il prouvait qu'il avait rien perdu en badassitude devant la caméra, il cherche à prouver avec son Hacksaw Ridge qu'il est encore un faiseur d'image talentueux.
On ne peut pas nier à Gibson qu'au cours de sa courte carrière de metteur en scène, il s'est aussi imposer comme un auteur. Fascination du martyr et de la violence dans un discours souvent pro-catholique, il accorde une place de choix sur la religion qui pourra généralement rebuté les détracteurs de celle-ci. Mais pourtant il va souvent au delà de ça. Même si il choisit un point de vue qui est le sien, il ne cède pas à la bête propagande religieuse mais il pousse généralement une réflexion sur la croyance elle-même, peut importe son origine. On pourra quand même lui reprocher de manquer d'objectivité sur son sujet, mais jamais de na pas essayer de nuancer le trait de ce qu'il veut montrer. Ici, se basant sur une incroyable histoire vraie, il adapte le point de vue de son héros américain le film se trouvant donc très vite cloisonné à une seule vision de la guerre. Pourtant malgré les propos des personnages, Mel ne se contente pas de filmer la céleste Amérique contre le satanique Japon. Il fera de son personnage une figure christique, appuyant bien la parallèle avec une imagerie très iconique notamment durant le dernier acte, mais il faut admettre que le personnage principal se prête à ce genre de parallèle. Mais au delà de ça, Gibson va surtout porter une réflexion sur la capacité de croyance des hommes, qui dépasse même la religion. Essayant de savoir où s'arrête la croyance personnelle et où commence le fanatisme. En ça, le personnage principal ne sera pas différent des japonais, étant près à mourir plutôt que de faire face à la défaite. Gibson traitant aussi les croyances des japonais avec finesse lors de la fin, montrant qu'il respecte leurs convictions.
Il s'agit de ça au final, de force de conviction, c'est celui qui en aura le plus et qui y croira le plus fort qui remportera la bataille. Si les américains l'emporte, ce n'est pas par intervention divine ou par un miracle provoqué par le personnage principal mais parce qu'ils ont cru en leurs victoire à travers cette homme alors que leur premier assaut ils étaient apeurés et dans le doute causé par les témoignages du précédent bataillon. L'important ici n'étant pas de croire en dieu, mais d'avoir la foi en nos propres capacités à surmonter l'horreur. Il y a aussi une certaine intelligence à vouloir faire une ode au pacifisme au milieu d'une ode sur la violence, en ça le film devient fascinant et arrive à toucher quelque chose de juste sur l'aspect paradoxale de la nature humaine. D'ailleurs les paradoxes sont nombreux ici, car l'ascension ne mène pas au paradis mais en enfer, magistralement symbolisé par la séquence qui voit les soldats gravir une paroi pour accéder au champs de bataille. Où le mouvement de grue de la caméra et le traitement de la lumière laisse penser à une révélation divine mais s'arrête sur un no man's land qui évoque par sa force picturale certains tableaux sur l'Enfer de Dante. Ici, c'est la chute qui permet l'accès à une forme de paix divine. Mel Gibson ne se contente pas donc de souligner les évidences et d'imposer ses croyances mais au contraire de pousser une réflexion chez le spectateur et il le fait étonnamment bien. Même si on pourra lui reprocher une première partie de récit terriblement classique et ancré dans les clichés qui n'est pas aidé par sa lourdeur d'écriture et d'interprétation.
Durant la première partie, les acteurs peinent à sortir des stéréotypes de leurs personnages, à l'image de l'interprétation beaucoup trop naïve et appuyée d'Andrew Garfield. Mais lorsque que ceux-ci se retrouve au cœur de l'action, ils offrent des performances plus justes et viscérales, la transformation du jeu de Garfield est alors impressionnante mais aussi de tout les rôles secondaires qui excelle dans leurs manières individuelles de montrer le trauma de l'après bataille. On notera aussi la performance impeccable de Sam Worthington, qui n'avait pas été aussi bon depuis un moment, et la prestation caricaturale mais jubilatoire de Vince Vaughn qui arrive avec justesse à transmettre l'humanité sous-jacente de son personnage. Mais ce qui impressionne le plus ici, c'est la capacité de Mel Gibson à mettre en scène la bataille qui fait le cœur de son film. Alors qu'il semblait en pilotage automatique durant la première heure de son récit, il se lâche totalement durant la dernière heure de film à travers des images qui évoquent les tableaux les plus célèbres de batailles. Picturalement fort, mise en scène inventive qui plonge au cœur de l'horreur comme rarement auparavant, toute les séquences de batailles sont des grands morceaux de cinéma qui vont même à réinventer ou du moins affiner l'impact que peut avoir la guerre sur les personnages et les spectateurs. Rare sont les films à retransmettre avec autant de justesse et de ferveur le désespoir, la peur et l'horreur présent sur un champ de bataille. On ressort essoufflé et admiratif de la précision de ses visions de l'apocalypse et de la virtuosité dont Gibson à fait preuve pour nous immerger dans une telle boucherie.
Hacksaw Ridge est un grand film de guerre. Humainement fort, picturalement brillant notamment sur sa dernière heure, le film à du mal à laisser indifférent qu'on n'y voit une ode à l'Amérique catholique par un ego surdimensionné ou qu'on se laisse porter par les pistes de réflexions offertes par l'oeuvre. Car le film aura clairement ses détracteurs, Mel Gibson fait le choix d'un point de vue subjectif et donc limite par moments son sujet où les réflexion qui pourrait en découler mais il réussi à faire certaines entorses pour évoquer quelque chose de plus grand. Il arrive même en ça à s'émanciper du cadre du biopic pour offrir une oeuvre bouleversante et sidérante sur l'âme humaine et ce qu'il en coûte de la soigner. La croyance étant ici un moyen de réprimer ses bas instincts plus que d'accéder à une forme de spiritualité. On se retrouve donc face à un film plus intelligent et pessimiste que certains voudront l'admettre, un film qui malgré ses défauts évidents arrive à véhiculer une réflexion pertinente, un talent certains de la mise en scène et une vraie passion de cinéma.