Après La Passion, la Résurrection. Longtemps snobé par le tout Hollywood, Mel Gibson passe de l'ostracisme à la lumière avec "Tu ne tueras point", drame au combien émouvant décrivant le refus incroyable du jeune Desmond Doss de porter les armes... en plein milieu du carnage de la Guerre du Pacifique. Cette épopée brillante nous entraîne, comme trop peu de films l'ont fait encore, sur un théâtre moins connu de la seconde guerre mondiale : le Pacifique. Mais le propos n'est pas là : dans une filiation discrète avec Forrest Gump, "Tu ne tueras point" met en scène un personnage sympathique, toujours souriant, entier et solide comme un roc quand il s'agit de défendre son éthique personnelle. Desmond Doss refuse obstinément de porter une arme, tout en cherchant absolument à rester dans l'armée, à la veille du carnage sans précédent d'Okinawa. Cette attitude paradoxale, qu'il ne prétend imposer à personne, découle de la relation ambivalente qu'a le héros avec la violence. Son père, ancien militaire devenu pacifiste, est l'illustration de cette ambiguité. Desmond refuse la violence car il craint de l'apprécier et à terme de ne pouvoir s'en passer, au risque d'y laisser son âme. Pour autant, il ressent la nécessité de mener la lutte pour défendre la patrie. Ainsi, sa relation personnelle à la violence justifierait à la fois son engagement dans l'armée et son refus de se servir d'une arme. Grande contradiction s'il en est ! La Guerre du Pacifique se prête bien, semble t il, à ces paradoxes, jusque dans son nom. La Ligne Rouge, de Terrence Malik, livrait déjà une réflexion semblable, mêlant avec brio paysages paradisiaques et scènes d'horreurs, hommes tour à tour torturés et tortionnaires.
Desmond Ross prétend ressortir avec la conscience indemne d'un des pires conflits de l'Histoire. Son choix étrange rend difficile son intégration, et il devra lutter aussi bien contre les japonais que contre les rouages écrasants de l'Armée américaine. On sent ici pointer quelque chose de typiquement américain : la lutte entre l'individualité, parfaitement libre, et la société, qui voudrait aliéner cette individualité. Les circonstances guerrières portent cette lutte à son paroxysme.
Mel Gibson a choisi un sujet difficile, et il l'a fort bien mené. Pas de longueur, pas de manichéisme. On comprend aussi bien les raisons de Desmond que l'ébahissement de ses supérieurs quand ils apprennent que leur soldat (volontaire) refuse de porter les armes. Les scènes s'enchaînent, nous voici à Okinawa et cette posture devient de plus en plus difficile à tenir... Jusqu'à ce que Desmond se sublime, que le miracle arrive et que tout le monde se taise face à cette foi capable de porter les montagnes, d'amener la vie là où il n'y a que cadavres purulents, de sauver des vies là où l'acier et le plomb ne font que les faucher. Certes, Mel Gibson se laisse parfois aller au pompeux américain, à grand renfort de musique à violons, mais ce n'est là que broutille : l'essentiel est là, le spectateur est littéralement subjugué par cet héroïsme tranquille qui, s'il n'était pas fondé sur des faits réels, passerait pour de la fantaisie.
Tu ne Tueras Point est, sans conteste, le chef d'œuvre de l'année
Bref, Tu ne Tueras Point n'es