Apocalypse : no ! Mel Gibson s’affirme film après film comme un réalisateur dont on guette la prochaine pellicule la bave aux lèvres. Avec « Braveheart » et « Apocalypto » l’aigle de la route a tracé la sienne sous les rails de sa caméra, laissant derrière elle des traînés d’hémoglobine et des tonnes de chairs meurtries. Celle de fresques furieuses et sévèrement burnées, a l’esthétique crue et dans lesquelles sa « passion du christ » a laissé de profonds stigmates, que son émouvant « Homme sans visage » ne laissait augurer. Une filmographie qui dans tous les cas détonne dans le paysage souvent un peu lisse de l’Entertainment.
Connu pour ses problèmes avec l’alcool depuis son adolescence, ce farouche catholique traditionaliste est aussi un grand philanthrope. A partir de l’histoire (vraie) de ce garçon de virginie issu d’une famille de la middle class, aux adventistes convictions et qui va basculer de son contestable statut d’objecteur de conscience à véritable héros de la nation, il est facile d’imaginer que le réalisateur à trouver là matière à une certaine forme de purification émotionnelle, une sorte de thérapie personnelle proche de la catharsis….
Pendant plus d’une heure il va nous imposer une voyage presque contemplatif, une première partie du récit ou il s’entache à dépeindre l’histoire de Desmond Thomas Doss (Andrew Garfield) un garçon au visage candide, d’une insolente innocence proche d’un Forrest Gump (l’autisme en moins) que seule la violence conjugale « ordinaire » de son père ( Hugo Weaving) sur sa mère va finir par perturber. Ce jour où il s’interposera en le menaçant d’un révolver et qu’au nom du sixième commandement, il entamera sa profession de foi et ne touchera plus une arme. Pourtant il veut servir la patrie et partir à la guerre, à sa manière. Il s’engagera et sera fiché P4, cantonné au grand dam de son commandement à des taches d’auxiliaire de santé, lui qui est sur le point d’épouser une infirmière.
Une très longue introduction, à la narration agréable, non dénué d’humour et de psycho drame, tout en évitant les ficelles du grand mélo. Gibson en profite pour faire monter l’empathie avec son personnage et surtout prépare sournoisement a cette incroyable et fulgurante rupture de ton….les soldats vont se retrouver au front, dans le pacifique, engagés contre les forces de l’empire du soleil levant, moment précis ou Mel va déclencher l’enfer. Et quel enfer ! Pendant d’interminables minutes la mort va frapper en rafales ininterrompues avec ses hommes qui se retrouvent pris sous un déluge de plomb, dans un fracas assourdissant. Des images d’un étourdissant réalisme où vont se succéder des plans d’une violence inouïe, celle de la guerre dans sa vision la plus spectrale : choquante, effrayante, révulsante. Une plongée abyssale aussi noire que les ténèbres et aussi rouge que ces crânes perforés, ces membres arrachés, ces tripes expulsées. Une bataille d’une rare sauvagerie.
Jusqu’à présent la scène d’intro sur les plages d’Omaha Beach du « Qui veut sauver le soldat Ryan » de Spielberg constituait la référence absolue en matière de boucherie sanguinolente, mais Mel Gibson repousse encore plus loin les limites de l’insupportable, sans caméra au poing, avec des cadrages à l’ancienne renforcés par un montage ultra dynamique.
Mel Gibson lors de la première partie de ce carnage ne s’attarde pas sur son personnage. Desmond est presque invisible, un rôle logiquement subsidiaire, lui qui n’est pas là pour combattre. Un parti pris ingénieux de la part du réalisateur qui nous permet de glisser dans sa peau de simple spectateur, car comme nous il ne peut interagir avec l’histoire. Un peu à la manière d’un Jack Crabb s’agitant sur les collines de Little big Horn ou sur les rives de la Washita sans pouvoir stopper les massacres dans le « Little big man » d’Arthur Penn. Mais avec une différence de taille : Desmond est un personnage bien réel et
c’est ce qu’il va prouver après le premier assaut en portant assistance aux nombreux blessés abandonnés sur le champ de bataille
. C’est à ce moment précis que sa quête va prendre toute sa grandeur.
Seul, au milieu de ce gigantesque charnier, il va secourir un à un les blessés, alors que la menace japonaise est toujours présente. Un acte de bravoure presque béatifié devant la caméra de Gibson. Peut-être un des seuls défauts du film, avec ces visions qui touche exagérément au divin, ce brancard qui s’élève vers le ciel, les soldats qui s’ « écartent » sur son passage…un passage en mode messie qui caresse la caricature.
Mais après tout, on ne peut reprocher a Gibson de faire preuve de jusqu’auboutisme dans son discours ce qui au final n’enlève rien à l’ampleur de la mise en scène et à la qualité du spectacle.
Les stocks shots pré-générique achèvent cette sensation viscérale de décharge émotionnelle.
Andrew Garfield livre une interprétation cinq étoiles phénoménale, bouleversante et…Oscarisable !
Les autres acteurs ne dénotent pas avec en tête Hugo Weaving en père alcoolo et patriotique, Vince Vaughn en instructeur fendard et chef d’escouade fédérateur, Teresa Palmer en sublime fiancée « vintage »…pour au final un très bon casting .
Il n’est pas présomptueux d’imaginer que « Tu ne tueras point » glanera des récompenses, trônant pour ma part d’ors et déjà dans le sommet des films de l’année(2016). Plus qu’un simple biopic guerrier et humaniste, Mel Gibson a marqué durablement les esprits avec un monument qui ressemblerait presque a une véritable œuvre testamentaire.