Ayant constaté que son retour en tant qu’acteur ne suscitait pas la levée de boucliers redoutée, Mel Gibson amorce à présent son retour en tant que réalisateur, avec ce film consacré à Desmond Doss, un infirmier militaire qui fut le premier objecteur de conscience à recevoir la plus haute décoration militaire américaine pour avoir sauvé des dizaines de vies lors de la bataille d’Okinawa. Pour introduire ce personnage singulier, Gibson coche scrupuleusement toutes les cases du biopic édifiant : la (supposée) faute originelle, le climat familial, la rencontre de l’amour, le départ pour l’armée et le séjour au camp d’entraînement qui lui vaudront d’être martyrisé par les autres recrues et les officiers qui ne comprennent pas pourquoi cet énergumène s’est engagé alors qu’il refuse obstinément de tenir un fusil en main. Si le réalisateur n’a visiblement pas perdu la main en matière de caractérisation des personnages et d’efficacité du découpage narratif, on lui saura gré - et ce n’était pas gagné compte tenu de ses propres convictions religieuses - de ne pas s’être montré trop “missionnaire� et de ne pas avoir fait de Doss un fou de Dieu unidimensionnel, convaincu d’être personnellement guidé par son créateur : si l’homme s’accroche farouchement à ses principes de non-violence , même au mépris du bon sens, on découvre qu’il doute parfois de la cohérence de sa propre démarche et semble bien près, à plusieurs reprises, de céder aux sentiments de colère et de désespoir que sa foi réprouve. Une fois le pied posé sur Okinawa, le ton change, et c’est l’héroïsme de Doss qui devient l’objet de toutes les attentions. A partir de là, toutefois, on est beaucoup plus hypnotisé par la violence baroque et irréelle qui se dégage de cet assaut sur une falaise de l’île baptisée Hacksaw ridge. En terme d’esthétisation doloriste de la boucherie militaire, on ne peut pas dire que Gibson ait perdu la main non plus ! Film de guerre remarquable à tous points de vue, ‘Tu ne tueras point’ réclame seulement qu’on surmonte un petit écueil de départ aux couleurs de la bannière étoilée : d’un bout à l’autre du film, Gibson glorifie l’Amérique, son exceptionnalité, le courage et le patriotisme de ses soldats. Jusque là, il n’y a là rien qui le distingue du commun des films de guerre...mais il laisse aussi transparaître l’idée que ce courage, ce patriotisme et cette capacité à accomplir des miracles sont indissociables de la foi en Dieu. Si je défends l’idée que le cinéma le plus honnête est celui où transparaît sans compromissions la vision et les valeurs de son auteur, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter celle-ci (au demeurant au service d’un film irréprochable sur tous les autres plans) comme j’accepte les professions d’athéisme et les démonstrations d’anti-cléricalisme...et avec un sourire bien plus large, je le confesse !. En tout cas, s’il continue sur sa lancée, Mel Gibson terminera sa carrière comme un Clint Eastwood qui aurait trop été à la messe. C’est finalement tout le mal qu’on lui souhaite.