Qu'a fait ce film pour déchaîner les passions à ce point ? C'est un peu la question que je me suis posé pendant les 2h15 de ce "American Sniper" et que je me pose encore, à vrai dire. Parce que mis à part le libellé "un film de Clint Eastwood", son film reste un film de guerre absolument quelconque en tous points, tout ce que l'on a vu ici a déjà été fait cent fois en mieux. Sur la forme le film n'est pas mauvais, loin de ce que son réalisateur a pu faire de meilleur mais correct. Sans parler de l'interprétation très juste (bon choix que de s'être passé de têtes d'affiche cataloguées à un rôle) la maîtrise des codes d'Eastwood accouche de bonnes scènes de tensions et d'émotions plutôt efficaces même si les allers-retours USA-Irak cassent un peu le rythme, quant à la réalisation du monsieur elle est millimétrée mais néanmoins très académique même pour du Clint Eastwood, ce qui est dommage parce qu'avec un tel sujet principal il y a toujours moyen de faire ressentir des tas de choses autrement que par des mots. Eastwood étant avant tout un cinéaste de l'émotion, il n'a pas l'air particulièrement en forme. Enfin je dis ça mais au final la psychologie du tireur d'élite reste sous-exploitée (rien à voir avec "Stalingrad" ou "Jarhead" par exemple) puisque dans le pire des cas Kyle aura des remords une journée pour avoir tiré sur un gamin mais ça passera en marchant un peu. Mais bon, faire l'étude d'un personnage complexe et multi-facettes n'est clairement pas le but du réalisateur ici. Pas plus que de porter un regard un tant soit peu critique en consciencieux sur son sujet, ça non. Non le film est clairement une glorification des valeurs Américaines et une ode à son personnage, et je me marre tranquillement quand j'entend qu'il s'agit au contraire d'une remise en question de l'Amérique profonde, du portrait d'un homme torturé confronté aux conséquences de ses choix (mais bon Dieu le gars le dit lui-même que c'est complètement faux) ou d'une démystification de l'image du soldat, blabla...le film adopte un seul et unique point de vue aussi patriotique et manichéen que possible, alors certes c'est celui de son héros et rien ne laisse à penser qu'il s'agit de celui du réalisateur (enfin sauf pour qui se penche un peu...attention j'aime beaucoup Eastwood hein), mais rien ne laisse à penser qu'il ne s'agit pas du sien non plus, vu qu'il n'y a absolument aucune nuance dans le discours du film. Au moins le film va au bout de sa démarche d'ode à Chris Kyle, en témoigne cette fin absolument gerbante qui ose même résumer sa mort à un panneau de texte quand bien même elle a lieu quelques heures après. Après personnellement, la démarche m'aurait sans doute paru moins vaine avec un contexte et un héros différent: j'ai rien contre Chris Kyle ni aucun autre soldat Américain qui qu'il soit, mais je ne suis pas sûr qu'il puisse y avoir de place pour les héros dans un conflit aussi belliqueux et malsain que la guerre d'Irak, conflit qui ne sert ici que de vague toile de fond d'ailleurs, en particulier lorsque les "héros" eux-mêmes ne savent pas pourquoi ils se battent et ne cherchent pas à le savoir (juste une question, quelle cause est la plus noble entre celle du sniper qui fait une boucherie sur les bidasses venues occuper son pays [Mustapha] et celle du sniper qui fait une boucherie parce qu'on le lui ordonne [Kyle] ?). Et ne pas le traiter ne le fait pas disparaître pour autant, le contexte historique est là et on a pas le droit de juste l'occulter. Et encore une fois, pas un seul élément du film ne laisse à penser que le manque de recul (hu, hu) des personnages est traité par Clint Eastwood. Je gratte et je gratte mais c'est bien parce que le film a beaucoup fait parler de lui, en vérité il n'y dans "American Sniper" pas plus de matière que dans un film de guerre random, et ça ne méritait définitivement pas une telle attention. Pire, là où avec "Gran Torino" Clint Eastwood prenait du recul sur l'ensemble de sa carrière et ainsi son film sonnait comme un repentir, "American Sniper" m’apparaît comme une régression.