La polémique était-elle justifiée ? Très honnêtement, je n'en sais rien du tout, tant Eastwood a dans tout les cas la finesse pour rester jusqu'au bout ambigu sur sa ligne de conduite. Quoi qu'on dise d'American Sniper, en tout cas, sa réalisation est très carrée, les scènes de guerre fonctionnent, la tension existe, les séquences familiales sont assez bien dosées (...). Bref, vraiment de quoi faire tourner la machine. Le problème, c'est que j'ai encore du mal à savoir quel carburant fait tourner les moteurs : un patriotisme finement (insidieusement ?) nuancé ou une subtilité teintée d'amour national. D'ailleurs, on a lu ça et là des critiques aussi antithétiques qu'est large le spectre d'interprétations de cette biographie mêlée de fiction. Ce qui je tiens pour sûr, cependant, c'est que Chris Kyle était, sinon un salaud, un soldat à l'esprit simpliste, une machine de guerre bien loin du personnage à la fois lissé (dans son rapport plus mesuré à la violence) et complexifié (dans ses errements moraux) que présente American Sniper. Si je peux pardonner à Eastwood cet adoucissement quand même bien mensonger, c'est que le cinéaste parait s'en servir pour se livrer à un vrai exercice politico-social. En sculptant la figure d'un héros qui fait la fierté des Etats-Unis, il aspire sans doute à décortiquer le rapport de ce peuple à sa morale et ses contradictions, à étudier aussi la lutte de l'individualité dans ce pays où le patriotisme se fait parfois dévorant (la vie de famille volée par le front...). Après tout, pourquoi pas, tant qu'on prend du recul avec le personnage et qu'on admet vraiment s'en servir pour en tirer une fiction ? Le problème, c'est que cette distance n'est pas terriblement nette, comme si Eastwood avait reculé d'un grand pas pour se ravancer petit à petit, sur la pointe des pieds. Déjà, comment oublier ces images de fin, celles, réelles, de l'Amérique célébrant son héros. Des images qui peuvent autant confirmer l'aspect social de l'entreprise (le peuple américain si attaché à la figure du héros qu'elle lui sacrifie ses fils et une partie de son âme) que justement, à son aspect le plus individuel, celui d'un salaud réel qu'on voudrait en sous-main glorifier. Il y a aussi, tout du long, un traitement quand même assez limite qui humanise rarement ses personnages Irakiens. Encore une fois, le film veut-il mimer le point de vue américain pour mieux pouvoir l'étudier, ou ne l'adopte t-il pas clairement, ce manichéisme énervant ? Là où j'arrive à me décider et à me prononcer déçu, en tout cas, c'est dans l'approche de la mort de Chris Kyle. Je ne demandais pas à ce qu'Eastwood la montre, plutôt à ce qu'il explique les motivations du vétéran qui en est la cause. Dans le cadre d'une étude élargie des traumas de guerre des fils tombés (ou à jamais vacillants) pour la patrie, les simple rajout de cinq minutes qui aurait suffit s'insérerait parfaitement, rajoutant au film la largesse d'esprit dont je ne suis pas sûr qu'il soit véritablement pourvu. Eastwood a pourtant, par le passé, être capable de retranscrire son amour du pays et de son idéologie dominante sans pour autant cesser de se questionner à son propos. Doit-on, alors, imputer l'ambiguïté parfois gênante de cet American Sniper à un simple choix commercial ? Ou peut-être sont-ce mes yeux d'européen qui s'avèrent au final trop prompts à intenter à un américain une pensée lourdaude et manichéenne ? Beaucoup de questions, et très peu de réponses. Ah, si. Le sniper, c'est mortel.