Revu en ce mois de juillet 2018 avec un grand plaisir et un vrai bonheur sur un grand écran parisien, en version originale sous-titrée. Sorti en 1979, soit dix ans après l'apogée du mouvement hippie, et après la guerre du Vietnam, ce décalage temporel a permis à Milos Forman de livrer une vision réfléchie sur un contexte complexe de mutation sociale profonde de l'époque, ce qui n'empêche pas non plus la spontanéité d'être au rendez-vous. Dire que le film n'a pas été un succès commercial aux Etats-unis parce qu'il est sorti trop tard est faux. Si le mouvement hippie était fini (du moins pour le moment), le récit de GREASE, avec John Travolta, sorti l'année précédente, se déroulait dans les années 50, soit au moins dix ans plus tôt. Il est possible que le succès considérable de ce dernier ait un peu éclipsé HAIR. Aussi, si les deux comédies musicales peuvent séduire par leur fraicheur, la qualité des chansons et des chorégraphies, le talent des interprètes... sur des thèmes universels qui font que la jeunesse (y compris celle d'aujourd'hui) peut s'identifier facilement, HAIR est plus politique et subversif. Il a pu déranger davantage, ce qui peut expliquer que son public a été moins large. En France, avec plus de deux millions d'entrée en salles, ce fut un succès tout de même assez important. A titre de comparaison, c'est à peu près autant que pour SHINING de Kubrick, un autre film devenu culte qui sortira l'année suivante. En soi, GREASE n'est qu'un film très moyen, sauvé par le charisme de Travolta, alors que HAIR peut-être considéré comme un chef d'oeuvre. Mais si HAIR conserve une force étonnante près de 40 ans après sa sortie, au-delà de la nostalgie qui contribue bien sûr à son charme, c'est parce que son propos est non seulement universel mais aussi intemporel, ne s'étant justement pas laissé enfermé dans la mode d'une époque. Sa portée va bien au-delà.
Remarquablement bien rythmé, les parties dialoguées et chantées se succèdent et s'enchainent naturellement, avec contraste et justesse, le réalisateur sachant aussi merveilleusement bien laisser place au silence, oscillant entre légèreté et profondeur. La filiation de l'esprit hippie avec diverses philosophies antiques où l'individu est en quête de bonheur, dont le cynisme et l'épicurisme notamment, se manifeste dans des scènes déjantées ou des séquences intimes et hédonistes dans la nature. De même, le croisement entre la culture américaine et la sagesse orientale apparait judicieusement dans les codes et les rites de la contre-culture, sur le thème du choc des civilisations. L'énergie qu'un pays déploie dans son armée et son combat dans la guerre n' épouse pas celle qui anime les manifestations pour la paix et l'amour, comme le yin et le yang, enlacés, opposés et indissociables sur un même symbole?
Le jeune et naïf Claude Bukowski quitte sa campagne et sa famille pour partir à la guerre du Vietnam. Sauf que tout ne va pas se passer exactement comme prévu. en cours de route, alors qu'il souhaite visiter New-York, il rencontre une bande sympathique de jeunes hippies qui vont l'initier à leur monde, entre consommation de drogues, amour libre, rejet des conventions sociales et révolte contre l'autorité: Un univers apparemment radicalement opposé à l'armée. Il tombe amoureux d'une jeune fille, le groupe passe de très bons moments, mais Claude doit partir s'engager. Or Burger, son nouvel ami déterminé n'en a pas vraiment envie... On n'a jamais vraiment souligné à quel point cette histoire d'amitié intense, belle et tragique, atteignait des sommets, jusqu'à un final renversant, dans la lignée de l'histoire des deux héros des EVADES de Franck Darabont, d'après Stephen King, qui sortira quinze ans plus tard. C'est comme si une partie des critiques ou du public ne s'en était pas vraiment rendu compte. Une histoire d'amitié sublimée, transcendée par delà la vie et la mort, par le sacrifice, au nom d'un idéal de liberté et d'amour.
L'esprit provocateur dans la tonalité, la volonté de ces jeunes se libérer d'une société conservatrice, bourgeoise et répressive, la quête identitaire et le désir d'émancipation sexuelle sont restitués avec justesse, dans un film à la fois drôle, délirant, nostalgique, et émouvant. Les structures et les schémas sociétaux classiques tels que la famille, la transmission parentale, et le couple sont remis en cause, non sans ironie. Pour devenir soi-même et non ce que les parents et les autres veulent faire de nous, pour s'aimer et pouvoir aimer l'autre, il est parfois nécessaire de se révolter et de transgresser des règles, pour défendre des valeurs, amener des prises de conscience et des remises en question afin de faire évoluer les moeurs et progresser la société. Le cinéaste parle du conflit de l'individu face à une société qui ne lui convient pas telle qu'elle est, parce que celle-ci ne l'accepte pas telle qu'il est, et partagé entre le principe de raison et le principe de plaisir, il doit trouver un équlibre. L'examen sociologique de la profonde mutation sociale qui secoue le monde à cette époque, à travers le parcours d'apprentissage initiatique de ces jeunes est subtil, associant un humour jouissif ou tendre à la passion et au sentiment de révolte.
Le réalisateur réussit à nous transporter dans un trip qui est tantôt euphorique, tantôt un élargissement de la conscience, sans avoir eu besoin de prendre de LSD. 40 ans après mai 68, l'esprit hippie n'est pas mort, il a continué d'évoluer dans la société sous une autre forme, à travers le new-age et internet notamment.