C'est l'histoire d'un palace aujourd'hui disparu - le "Grand Hôtel Budapest". Ou plutôt celle d'un "homme aux clefs d'or", Gustave H., qui fait marcher ledit palace au nom et pour le compte d'un mystérieux propriétaire. Nous sommes à la fin 1932, dans un pays fictif et germanophone de la Mitteleuropa, dans lequel de cruels "ZZ" s'apprêtent à prendre le pouvoir. Le sémillant jeune quinqua (Ralph Fiennes) a deux péchés mignons : une gourmandise de gérontophile pour les vieilles (voire très vieilles) amies (riches clientes de l'hôtel) et une obsession pour un parfum capiteux, une vraie signature. Il se trouve un "disciple", improbable, un jeune réfugié de quelque pays oriental en guerre (qu'il rebaptise "Zero"), qui lui rappelle son propre apprentissage de groom. Quand il apprend le décès soudain et suspect d'une de ses conquêtes, Madame D. (Tilda Swinton - méconnaissable), il se lance dans la recherche de la vérité sur cette mort, avec Zero. Un fils indigne, Dmitri (Adrien Brody), son ignoble factotum, Jopling (Willem Dafoe), un exécuteur testamentaire aux idées embrouillées, Kovacs (Jeff Goldblum), un majordome français singulier, Serge X. (Mathieu Amalric), un chef de la police que Gustave a connu enfant, Henckels (Edward Norton) : voilà quelques-uns des protagonistes intervenant dans cette (en)quête. Où il est question d'un tableau flamand d'une valeur inestimable, d'un détour par la case "prison" pour le concierge (dans une forteresse ressemblant à celle de "La Grande Illusion"), d'une romance "sucrée" pour Zero avec Agatha (Saoirse Ronan), à l'angiome en forme de carte du Mexique, de "sports d'hiver" très hasardeux, etc.
Ce récit, abondamment illustré, étant fait par un Zero âgé (F. Murray Abraham - qui ne ressemble en rien au Zero jeune/Tony Revolori - passons..) à un jeune écrivain (Jude Law), dans les années 60, alors que le palace vit ses derniers feux, dans un pays maintenant derrière le Rideau de fer. Lequel (Tom Wilkinson) le transcrit à la fin des années 80. Cet emboîtage des histoires ne présente d'autre intérêt que le prétexte à un passage habile, en remontant le temps, d'un format cinématographique à un autre (sans aller cependant jusqu'au N & B pour l'essentiel du récit..).
Cette coquetterie stylistique, ou plutôt cette gratuité, ne serait pas grave, si le reste se tenait. Hélas, la singularité andersonnienne trouve ici ses limites. Le château d'images (avec de nombreuses trouvailles..) ne s'arc-boute pas sur une vraie cohérence. Des pistes sont ouvertes, puis négligées. La galerie de personnages, même quand ils sont réussis, reste vaine, globalement - et le casting, prestigieux, n'arrange rien (trois petits tours, et puis s'en vont... pour nombre d'entre eux) : non pas figures secondaires, mais silhouettes fantoches (Harvey Keitel, Owen Wilson, Bill Murray, Jason Schwartzman, Léa Seydoux...).
L'ensemble séduit par moments (surtout esthétiquement), mais déçoit généralement : ce n'est plus déconcertant, mais illogique, non pas déconstruit, mais non-construit, peu harmonieux, branlant comme la "courtisane au chocolat", étriquée et fragile, sous une façade séduisante. Et que diable vient faire ici Stefan Zweig ?... C'est une convaincue de l'excellence (habituelle) des films de Wes Anderson qui vous le dit - à regret !