Emballé !
C'est, je crois, le terme le plus adéquat. Je suis totalement emballé par le maître de l'emballage qui réalise là son plus beau paquet.
Lui qui aime tant les cadres dans le cadre, les panneaux et les paquets de toutes sortes, il ne s'est jamais autant fait plaisir que dans ce film. Tout d'abord dans la forme matrioshkesque (néologisme ? et alors ?! si on ne peut plus être inventif lorsqu'on parle de Wes Anderson ... ;-) ). A notre époque (filmée en panoramique) une jeune fille se recueille sur la tombe d'un écrivain. Dans ses mains un livre "The Grand Budapest Hotel" (première mise en abîme). Flash-back. L'auteur du roman et narrateur se film (film dans le film) et nous raconte comment dans les années 60 (filmé en cinémascope : 1ère concaténation de format) il rencontra Zero Moustafa propriétaire de ce fameux hôtel (imbrication nom du film > nom du livre > nom de l'hôtel) qui lui même lui raconta comment il en devint propriétaire suite à une folle aventure dans les années 30 (format 4:3 : 2è concaténation de format). Si avec ça vous n'êtes pas convaincu du goût de Wes Anderson pour l'emballage... Et bien si vous n'êtes pas convaincu, Wes vous en rajoute quelques couches dans la réalisation elle-même. Cadres dans le cadre (que ce soit des portes, des fenêtres, des couloirs, un trou dans le toit d'une camionnette de livraison, une bouche d'aération, un comptoir de réception, etc.), paquets (très, très nombreux paquets contenant des pâtisseries elles-mêmes contenant parfois marteaux et burins, lettre dans une enveloppe elle-même contenue dans le paquet emballant le tableau, etc.), panneaux très nombreux (et aux dimensions disproportionnées). Bref, là si vous n'avez toujours pas compris, je ne peux plus rien faire.
Toute cette construction est au service d'une histoire rocambolesque où nous suivons les aventures loufoques et cartoonesques du concierge M. Gustave et du nouveau "Lobby Boy" Zero qu'il prend sous son aile. Une folle course poursuite commence, suite au décès d'une fidèle et riche cliente, dont M. Gustave, amant de plusieurs clientes âgées dont celle-ci, espère bien touché quelque héritage. S'en suit alors un vol de tableau, une évasion de prison, une course poursuite skis vs luge (en stop-motion), une fusillade démentielle mais sans victime et diverses autres péripéties burlesques où Wes Anderson prend grand soin de toujours apporter le décalage humoristique que ce soit dans la situation (
le ticket de vestiaire pour le chat, etc.
), par le dialogue ou par son sens du détail (
les empreintes sur l'avis de décès, les panneaux dans l'hôtel : "Spring water: do not drink to excess", etc
). Fourmillant d'idées, toujours inventif, toujours inattendu, Wes Anderson signe là son film le plus aboutit, servi par une pléiade d'acteurs (dont certains fidèles de Wes Anderson ne viennent que pour faire un petit caméo : Bill Muray, Owen Wilson, etc.) dont je retiendrais particulièrement Ralph Fiennes dont je découvre le potentiel humoristique, Willem DaFoe en homme de main sans pitié, Adrian Brody transpirant la méchanceté, et la petite nouvelle au prénom imprononçable mais au charme indéniable Saoirse Ronan.
Certains regretterons que, comparativement aux autres œuvres de Wes Anderson et notamment Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel manque de situations émouvantes ; ce n'est pas mon cas. La juste dose d'émotion est saupoudrée au dernier moment telle le sucre glace recouvrant cette pâtisserie délicate aux saveurs si particulières.
Wes Anderson a une patte, une signature visuelle et un ton qui n'appartiennent qu'à lui et ce film, confirmation de l'excellent Moonrise Kingdom, signe définitivement son entrée dans la cours des réalisateurs les plus intéressants de notre époque.