Il y a longtemps, la sortie au cinéma d'un film de Claude Lelouch avait des allures d'événement crucial à mes yeux. Deux films de l'ultrasensible metteur en scène m'ont marqué pour conserver encore maintenant l'affection que j'ai pour son art. D'abord, le plus connu d'entre eux, palmé d'un précieux métal en 1966, "Un homme et une femme". Je devais avoir une huitaine d'années quand je découvris cette histoire d'amour lente et complexe sur le minuscule écran Pathé Marconi qui nous offrait à l'époque toutes sortes d'évasions. Je ne compris qu'à demi-mot le jeu de séduction auquel se livraient Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée, dans ce Deauville que je reconnaissais un peu mais l'ambiance un peu sépia bercée par les notes de Francis Lai m'inspirait du haut de mon jeune âge. Je fus surtout littéralement fasciné par la voiture rouge de Trintignant, cette Mustang décapotable qui brillaient de tous ses chromes et dont le "sourire" provoquant suscita cet émoi que j'aurai pour les voitures élégamment dessinées jusqu'à mon dernier souffle. Hasard curieux, je m'aperçus à la même période, qu'une de mes tantes possédait exactement la même à la couleur près. Celle-ci devint, sans jamais sans doute en avoir été consciente une héroïne familiale: la blonde soeur de mon père roulait en mustang décapotable dans les rues de Nice ! Et un objet du désir supplémentaire, un.
Le second film de Lelouch qui me plut et qui fit en sorte que les sorties des suivants faisaient office de "priorité vitale" s'intitulait "Il y a des jours et des lunes". Longue histoire tournant autour du changement d'heure et de la mauvaise humeur qui en découlait. Des acteurs que j'aimais bien ( Chesnais, Lindon, Girardot...), des bagnoles là encore au charisme affirmé, des endroits familiers comme la route de l'impératrice à Marnes-la-Coquette, un morceau de piano d'Erik Berchot qui m'enivra longtemps et encore un coup marketing plus ou moins conscient du réalisateur: la découverte de ce qu'était une Reverso.
Il y en eut ensuite d'autres, plus ou moins heureux mais toujours avec la même patte, la même façon de filmer, les voix des personnages sur des paysages bien sentis...
Ce "Salaud on t'aime" s'annonçait donc bien. Toutes ces joies visuelles et auditives d'antan me poussaient logiquement vers l'UGC Normandie des Champs Elysées, avec une amie franco-californienne et cinéphile comme moi. Un casting de choix, majoritairement féminin, les deux vieux rockers français jouant les vieux copains, Sandrine Bonnaire toujours sobre et juste avec son troublant sourire et un décor de montagne gaiement restitué avec notamment, la voix de Georges Moustaki.
Tout se passe à Praz-sur-Arly, à côté de Megève, où Jacques Kaminsky ( alias Johnny ) décide de s'installer durablement avec sa nouvelle girlfriend, Nathalie ( la jolie Bonnaire ) sur laquelle il jeta son rock n'roll dévolu quand cette dernière lui fit visiter son vaste chalet, sorte de "Lorada" des cimes. Avoir quitté la grisaille parisienne et par la même occasion sa femme ( Agnès Soral, pour qui j'ai une tendresse particulière, contrairement à son frère ) pour se retrouver au milieu des edelweiss suscite lentement mais surement des petites montées d'emmerdement du sieur Kaminsky, qui trouve alors le temps de penser à ses filles, longtemps délaissées pendant leur enfance, puisque ce photographe de guerre se souciait d'abord de son job plutôt que de la croissance de ses progénitures. Les cachets que lui octroyaient Paris Match et les adjoints de Daniel Filipacchi étaient plus motivants que les couches et les berceuses du moment. Son meilleur ami, le docteur Selman ( Monsieur Schmoll, alias Claude Moine ) décide alors de mettre son grain de sel dans le quotidien de Kaminsky et contacte en douce chacune de ses filles pour les inviter simultanément à la table familialo-estivale. Mais les arguments dont il se sert pour convaincre les petites s'avèrent un peu limites...Rebondissements garantis.
On découvre un Johnny Hallyday attachant, dont on sent qu'il a pris un réel plaisir à tourner dans cette ambiance conviviale. Sachant osciller entre gravité et billevesées, il donne la réplique à ses filles avec une sorte de conviction légère qu'on ne lui connaissait pas vraiment. Sandrine Bonnaire y est parfaite et le couple qu'elle forme avec le vieux chanteur est bien pensé.
Cette longue comédie vous offrira une fraîcheur indéniable et si certains pourront trouver que le côté "peinard en famille à ricaner" dure un peu trop, le Claude Lelouch sait taper du poing sur son scénario et surprendre le spectateur habilement, pour teinter son histoire d'une couleur parfois glaciale.