Malgré une histoire pas forcément originale, on voit bien que c'est avec passion que Claude Lelouch a réalisé "Salaud, on t'aime". Les thèmes qu'il a toujours défendus sont présents, aussi on pouvait s'attendre à une certaine lassitude ; il n'en est finalement rien. Les dialogues ne sont pas excellents, avec une quantité assez indigeste d'aphorismes relevant souvent de la philosophie de comptoir, mais les émotions affleurent bien souvent. Le mérite en revient tout d'abord aux acteurs, très bons pour la plupart, mais aussi à la façon dont Lelouch filme son récit : le cadre magnifique est très utile, associé à une superbe photographie, deux éléments qui font ressortir la déchirure de Jacques Kaminsky, vivant dans un décor de rêve mais incapable d'être heureux sans ses filles. Le tout est sans doute trop ficelé, avec la présence de vieilles chansons, le discours – certes réussi – sur l'amitié, les paysages de carte postale, mais l'émotion est malgré tout vraiment présente, dans les trajets en voiture sous la pluie, sur le visage de Jacques lorsqu'il surprend ses filles parler de sa mort anticipée... Le rebondissement qui intervient vers la fin est en outre très fort, permettant au film d'accéder vers quelque chose de plus grand ; hélas, la suite est moins réjouissante, avec des retournements de situation tirés par les cheveux et une fin consensuelle. Dans l'ensemble, le film reste sympathique, mais il aurait pu être bien meilleur sans deux gros défauts très gênants. Tout d'abord, cette intrigue secondaire autour du casse d'une banque, qui n'a strictement rien à voir avec l'histoire mais qu'on a déjà vue chez Lelouch, preuve de sa fascination stupide pour les grand criminels imbus de leur personne. Plus encore, c'est l'idéologie de droite d'une pauvreté consternante qui abaisse la qualité du film. Pour le réalisateur, l'argent semble être la valeur reine, ceux en disposant étant des gens très intéressants dont les problèmes valent la peine d'être filmés. À des lieues de ceux-ci, ceux n'ayant pas réussi sont condamnés à rester des serviteurs dévoués et incultes, des individus sympathiques qu'on aime bien, qu'on peut aider de temps en temps, qu'on peut même occasionnellement inviter à sa table, mais qui n'accèderont jamais à la distinction des grands propriétaires. De la scène où Jacques invite un Noir à partager leur repas se dégage une sorte de racisme paternaliste : si le photographe ne semble avoir aucune arrière-pensée, il démontre pourtant qu'il se considère comme appartenant à un monde sensiblement différent du vendeur, puisqu'il résout en deux secondes tous les problèmes d'argent de ce dernier, comme s'il ne comprenait pas qu'on puisse être obligé de travailler pour gagner sa vie. Cette idéologie nauséabonde ressort assez souvent dans le film ; pourtant elle ne suffit pas à le gâcher, grâce à une certaine dose d'humour qui est associée à ces scènes.