Il pleut sur les rues brumeuses et encombré de New York ; les gouttes de pluie perlent sur la vitre embuée de la voiture sur laquelle Thérèse a posé sa tête. A quoi pense-t-elle ? Surement à cette dernière rencontre avec Carol, qui l’a laissée pensive et troublée. Dans cette vieille Cadillac grise, dans cette rue de néons du New York des années 50, Thérèse se souvient. Sa mémoire la remonte à ce noël 1952, au temps de sa première rencontre avec cette unique femme qu’elle n'ait jamais aimée…
Ainsi commence ce superbe film de Todd Haynes, qui filme tout en douceur et en élégance ces deux magnifiques femmes et leur histoire d’amour éphémère. En effet, le réalisateur américain choisit de se focaliser plus sur la rencontre que sur l’histoire amoureuse qui va en découler ; il ne se pose pas la question de la vision que porte l’Amérique puritaine sur ce couple homosexuel, mais se demande plutôt, dans une odyssée délicate et poétique, quels vont être les conséquences de cette amour sur l’aspect psychologique des protagonistes et de leurs entourages.
Pour photographier ces personnages dans cette nouvelle perspective, le réalisateur a fait appel au chef opérateur Edward Lachman, qui a redonné de façon remarquable l’ambiance du New York d’antan, rendant ainsi merveilleusement hommage aux photographies de Saul Leiter, pionnier de la couleur, qui photographiait déjà à cette époque des visages de femmes songeuses dans un New York de brumes.
Une des personnages principales, Thérèse Belivet (Rooney Mara), se trouve d’ailleurs vouloir devenir photographe ; ces photos sont tout d’abord à son image : timide et innocente, elle ne prend que des oiseaux. Cette jeune femme n’ose photographier des personnes ; la première personne qu’elle photographie est Carol Aird (Cate Blanchett), riche femme envoutante et sur d’elle, en pleine instance de divorce avec son mari, interprété par un excellent Kyle Chandler, qui saisie toute la richesse et la subtilité de son personnage, à la fois tragique et méprisable : il aime une femme qu’il ne peut concevoir entre les mains de quelqu’un d’autres, et surtout pas d’une femme. Mais les plus incroyables interprétations du film restent celles des deux actrices principales ; Cate Blanchett et Rooney Mara, aussi incroyable l’une que l’autre, apportent chacune à leur personnage une profondeur et une sensibilité hors norme. Leurs délicieux jeux de regards renvoient sans cesse à leurs personnalités respectives, si singulières, troublés par cet amour naissant qui les dépassent et qui voient tous leurs repères s’écrouler au même moment. On ne peut qu’être subjugué par ces actrices aux sommets de leur art, qui, par la puissance émotionnelle de leurs interprétations, représentent toute la beauté du film.