Il y a bien longtemps qu'une histoire d'amour ne m'avait pas autant chavirée au cinéma. Peut-être depuis "La Vie d'Adèle" finalement. Et bien qu'il s'agisse dans les deux cas d'amours homosexuelles, c'est à peu près le seul point commun de ces deux films magnifiques. Thérèse et Carol se rencontrent dans un grand magasin à l'approche des fêtes de Noël. L'une est vendeuse au rayon jouets, l'autre est une grand bourgeoise, extrêmement élégante. Le coup de foudre est immédiat et réciproque. Nous sommes en 1950 à New York, autant dire que la morale chrétienne et étriquée (est-ce un pléonasme ?) ne permet encore aucune alternative au standard conjugal de l'époque. D'autant moins que Carol est mariée, en instance de divorce et mère d'une petite fille. C'est donc en secret que ces deux femmes aux conditions sociales et financières différentes vont apprendre à se connaître puis à s'aimer. De toute leur âme, de toutes leurs forces malgré les entraves, les suspicions et l'entourage… En dépit de la cruauté de la situation, il se dégage une grande douceur entre ces deux êtres frissonnants, une délicatesse et une tendresse immenses qui étreignent le cœur. Sublimées par la photo d'Edward Lachman, tout en clairs-obscurs, les actrices sont somptueuses. Cate Blanchett, en digne héritière de Gena Rowlands (pas moins), est incroyable de distinction et de douleur rentrée. Rooney Mara (prix d'interprétation à Cannes, ex-aequo avec Emmanuelle Bercot), frémissante, convoque avec grâce le fantôme d'Audrey Hepburn à laquelle elle fait souvent penser. Quant aux personnages masculins, ils évitent la caricature. Le mari de Carol, par exemple, n'est pas un affreux Jojo. Pathétique et bouleversant, il est juste dépassé par sa souffrance, devient idiot comme on l'est tous dans ces cas-là. À ce titre, la scène dans le bureau de son avocat est l'une des plus fortes qu'il m'ait été donné de voir au cinéma, dans ce type de confrontation. Et les derniers plans du film, instants de grâce et de tension suspendus, m'ont laissée sur le flanc, le souffle coupé. Un chef d'œuvre.