Todd Haynes est un cinéaste assez discret, qui en plus de 20 ans de carrière n'a réalisé que très peu de films. Parlant souvent d'acceptation de soi avec des personnages qui sortent de l'ombre dans un monde qui favorise le faux, Haynes en a toujours profité pour revendiquer son amour du cinéma de Douglas Sirk. Ici il ne déroge pas à la règle car il en reprend les principaux codes et même les thématiques qu'il avait déjà exploré dans Far from Heaven en 2002. Après 10 ans d’absences donc, son dernier film I'm Not There date de 2006, il revient à ses vieux amours et peine un peu à renouveler son cinéma préférant jouer la sûreté que la prise de risque.
Adapté du roman éponyme de Patricia Highsmith, le scénario parle de l'amour naissant entre deux femmes dans une société qui ne permet pas ce genre de choses et en parallèle montre le parcours initiatique du personnage principal pour s'accepter et du combat d'une mère pour garder son enfant. Car ici même si le film s'appelle Carol, le véritable personnage principal est Thérèse, on vivra beaucoup plus cette histoire à travers ses yeux. Et à cause de ça le récit va faire pas mal de mauvais choix. A trop vouloir multiplier les intrigues, l'ensemble va donner la sensation d'aller bien trop vite, que ce soit dans son absence d'approfondissement de la relation des deux personnages principaux, même si celle-ci est au centre du film elle reste pour la plupart du temps statique, ou dans le manque d'enjeux forts. Par exemple tout ce qui entoure la fille de Carol et son ex-mari peine à susciter l'intérêt, car hormis le faite qu'elle soit la mère de l'enfant, aucun n'élément n'est présenté aux spectateurs pour qu'il s'intéresse à cette histoire. Ce qui fait que l'on a du mal à s'émouvoir des moments qui devraient être les plus poignants. C'est finalement ce qui manque le plus ici, l'implication du spectateur. On regarde l'ensemble sans vraiment s'y attacher à cause d'un manque de passion et d'une froideur globale qui empêche véritablement que l'on entre dedans. Après le récit est construit comme un conte de Noël ce qui fait l'originalité du film mais le choix de narration n'est pas des plus judicieux, présenter l'histoire par un gros flashback tend à rendre le tout prévisible et déjà-vu. Néanmoins le scénario impressionne beaucoup dans sa manière rigoureuse de rester simple, que ce soit le contexte de l'époque, la manière de penser des personnages et de leurs relations ainsi que le moyen de faire passer le propos. Tout est parfaitement limpide et d'une simplicité appréciable qui souligne une belle sobriété même si cela tant parfois vers le manichéisme.
Ce qui vaudra une grande partie de l'intérêt du film réside dans son flamboyant casting. Voir Cate Blanchett et Rooney Mara, qui sont parmi les meilleurs actrices de leurs générations respectives, se donner la réplique à quelque chose de magnifique à voir, surtout qu'elles sont toutes deux prodigieuses. Rooney Mara se démarque un peu plus grâce au parcours psychologique plus conséquent de son personnage, elle est absolument parfaite et fait preuve d'une densité de jeu admirable n'ayant volée aucune de ses nominations. Son regard cristallin et transperçant marque encore bien après la fin du film. Cate Blanchett est d'une justesse touchante mais son registre de jeu évolue beaucoup moins, néanmoins elle tient son rôle à merveille. Elles sont accompagnés d'acteurs talentueux comme Kyle Chandler et Sarah Paulson, qui même si ils sont dans des rôles plus caricaturaux, se montrent très convaincants.
Pour ce qui est de la réalisation, on a le droit à une reconstitution d'époque impeccable soutenu par une photographie assez sublime qui permet des jeux de lumières et des effets de transitions habiles en plus de magnifier chaque plans. La musique est inspiré mais le thème principal devient assez vite trop répétitif dans son utilisation et le montage linéaire alourdi l'ensemble malgré des transitions bien pensées. La mise en scène de Todd Haynes est maîtrisé et élégante mais malgré un pal séquence d'introduction superbement géré, l'ensemble tombe dans un académisme trop prononcé et qui peine à susciter de l'émotion. Il nous offre donc un travail très propre mais désincarné qui souffre de son classicisme alors qu'il y avait matière à quelques frasques visuelles. Par contre il fait preuve d'une belle pudeur dans sa manière de filmer l'amour des deux femmes, leur scène d'amour est faite de manière sensible et tendre même si elle manque un peu de naturel, en montrant la nudité d'une actrice mais pas de l'autre, la scène s'enferme dans un certain didactisme mais qui compense par sa pureté.
En conclusion Carol est un bon film. Il est peut être trop froid et académique pour susciter la moindre passion ainsi qu'impliquer pleinement le spectateur mais il compense par sa rigourosité et sa manière habile de traiter son sujet. Même si Haynes ne révolutionne pas le genre, ni même son cinéma et qu'il signe une oeuvre attendue, il la signe avec élégance, pudeur et maîtrise. Accompagné de deux actrices formidables qui se donnent complètement à leurs personnages, Rooney Mara est probablement dans son meilleur rôle, il offre un film juste et simple qui ne retranscrit pas toutes ses intentions mais qui mérite quand même le détour.