C’est Eric et Nicolas Altmayer, éminent duo de producteurs du cinéma français, qui proposèrent à Bertrand Bonello, peu de temps après la sortie de L’Apollonide, de réaliser un biopic sur Saint Laurent. Le réalisateur accepta de relever le défi, à condition que le film ne soit pas à l’image d’un "biopic traditionnel". Il souhaitait "privilégier l’aspect visuel, romanesque, viscontien de Saint Laurent, et laisser de côté l’aspect très français du biopic, même si Saint Laurent est aussi une figure très française et que cela a son importance". Une direction approuvée par les frères Altmayer, qui suggérèrent à leur tour au réalisateur de joindre le scénariste Thomas Bidegain à l’aventure.
L'année 2014 a vu se succéder dans les salles obscures pas moins de deux biopics consacrés au couturier Yves Saint Laurent. Le premier, dirigé par Jalil Lespert, affichait Pierre Niney dans le rôle principal, tandis que pour cette deuxième adaptation, le fondateur de la maison Saint Laurent est incarné par Gaspard Ulliel. A la différence du film de Lespert, centré sur les excès de Saint Laurent, le biopic de Bonello se focalise sur une décennie (1967 - 1976) de la vie du styliste disparu en 2008.
De nombreuses spéculations créditaient Willem Dafoe au générique de Saint Laurent, dans le rôle du pionnier du pop art, Andy Warhol. Mais la rumeur, infondée, a vite été démentie par Bertrand Bonello.
Si le biopic de Saint Laurent sorti en janvier 2014 sur les écrans français a reçu l'aval de Pierre Bergé, il n'en est pas de même pour cette autobiographie signée Bertrand Bonello. L'homme d'affaires et compagnon du couturier décédé, strictement opposé au tournage, aurait tenté d'en empêcher la production. Le film s'est également heurté à quelques difficultés de financement, et n'a pas eu droit aux faveurs dont a pu bénéficier le long-métrage sorti début 2014. Il s'est néanmoins consolé avec une sélection en compétition officielle au Festival de Cannes.
Initialement prévue en mai 2014, la sortie de Saint Laurent a été repoussée au mois d'octobre. Un changement de date qui pourrait s'expliquer par la sélection du film au Festival de Cannes la même année.
Absent des salles de cinéma depuis quelques années, l'acteur Helmut Berger, monument du septième art et acteur fétiche de Visconti, a finalement accepté de sortir de sa tanière, pour se glisser dans la peau d'un Saint Laurent vieillissant.
Gaspard Ulliel a travaillé sa voix et sa diction pour qu’elles ressemblent au plus près à celles de Saint Laurent. "Pour notre première séance de travail, Bertrand m’avait envoyé des interviews disponibles sur les archives de l’INA. Il insistait sur la diction particulière de Saint Laurent, une grâce qui était, disait-il, de la fragilité sans être de la féminité. Quelque chose d’assez difficile à saisir et à reproduire", explique-t-il. Le comédien a également été amené à perdre du poids (12 kilos), pour que sa carrure soit ressemblante à celle du créateur de mode : "Yves avait une grande silhouette avec de longs bras, il était longiligne tout en ayant des joues. J’ai maigri afin de me rapprocher de cette silhouette. Je crois qu’à l’époque les hommes étaient plus fins qu’aujourd’hui."
Gaspard Ulliel revient sur sa transformation pour le rôle :
Bien des années après sa mort, l'illustre couturier ne cesse de susciter l'intérêt et l'admiration du grand public. En 2010, Yves Saint Laurent avait déjà fait l’objet d’un documentaire intitulé L’amour fou, réalisé par Pierre Thoretton. Le styliste a également été le sujet de trois autres documentaires, parus entre 1994 et 2002 (Tout Terriblement, Le temps retrouvé, Yves Saint Laurent, 5, avenue Marceau, 75116 Paris). C'est sans compter les nombreux ouvrages et expositions qui lui sont fréquemment consacrés. Le mythe Saint Laurent n'est pas prêt de sombrer dans l'oubli.
Avec Saint Laurent, Bertrand Bonello retrouve Jasmine Trinca, qu'il avait dirigée dans L'Apollonide : souvenirs de la maison close (2011) et Léa Seydoux, aperçue six ans plus tôt dans De la guerre. Retrouvailles également entre le réalisateur et Jérémie Renier, qui jouait dans Le Pornographe. Côté acteurs, c'est Gaspard Ulliel et Jérémie Renier qui se côtoient de nouveau (après Le Pacte des Loups et The Vintner's Luck). Louis Garrel lui, partage l'affiche avec son ex-compagne (et collègue) Valeria Bruni Tedeschi.
Se concentrer sur une décennie précise de la vie de Saint Laurent fut un choix délibéré des scénaristes. Thomas Bidegain et Bertrand Bonello avaient à l’esprit de se centrer sur les moments les plus importants de la vie du couturier, justement concentrés dans cette période. "On aurait pu resserrer davantage, c’est une décennie tellement forte…", explique Bonello, avant de poursuivre : "On aurait pu aussi commencer en 1965, avec la robe Mondrian, qui marque le moment où Saint Laurent cesse d’être post-Dior pour devenir Saint Laurent (…) Thomas et moi avons très tôt choisi de nous en tenir à deux collections emblématiques, la collection « Libération » de 1971 et le « Ballet russe » de 1976. La première fait scandale : en 1971, en plein hippie chic, saint Laurent habille les femmes comme leurs mères, puisant dans sa passion pour la sienne, pour les actrices des années 1940, etc. C’est un scandale journalistique, mais six mois plus tard, tout le monde s’habille aux fripes. Le deuxième défilé est quant à lui sous influence orientale, Gauguin, Delacroix, Matisse, jusqu’à l’orient russe."
Scorsese, Bresson, Hitchcock, Becker, Richard Fleischer… Bertrand Bonello s’est abreuvé à de multiples sources pour concevoir Saint Laurent. Il explique : "L’amour que j’ai pour les films de Robert Bresson m’a appris à déstabiliser le temps en utilisant la voix off. (...) J’ai pensé à Vertigo (…), pour la scène avec Valeria Bruni Tedeschi (…). J’ai regardé attentivement Aviator de Scorsese, avec Leonardo DiCaprio (...) J’ai revu Falbalas de Jacques Becker, un beau film sur la haute couture mais différent de ce que j’avais en tête. Thomas et moi avons revu Violence et passion de Visconti, avec Burt Lancaster, bouleversant, Helmut Berger et Silvana Mangano. J’ai revu Ludwig, pour le travail sur le temps. Pendant le tournage, toujours pour des questions de rythme, j’ai revu Casino (...). J’ai également revu deux films pour le split screen, L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison et le génial Etrangleur de Boston de Richard Fleischer."
Qui de mieux qu'un mannequin pour incarner un mannequin ? Comme pour répondre à cette logique, c'est à Aymeline Vallade que le rôle de Betty Catroux a été attribué. C'est Amira Casar qui recommanda le top model à Bertrand Bonello. La comédienne, brièvement passée par les feuilletons Riviera et Sous le soleil, signe ici sa première participation à une fiction à gros budget.
Gaspard Ulliel a été retenu pour jouer Saint Laurent, à l’issue d’un casting amorcé début 2012. Une vingtaine d’acteurs ont été consultés pour le rôle, mais c’est l’égérie Bleu de Chanel qui reçut les faveurs du réalisateur : "Je tenais à ce que sa ressemblance avec Saint Laurent ne soit pas l’unique facteur. Nous avons fait des essais pendant trois mois, principalement pour voir si nous pouvions travailler et avoir un dialogue ensemble", précise-t-il.
Si Bertrand Bonello avait quelques notions sur la vie d’Yves Saint Laurent, cela ne l’a pas empêché de se documenter sur le personnage. Trois à quatre ouvrages retraçant la vie du couturier lui ont permis de peaufiner son scénario. A l’instar de son metteur en scène, Gaspard Ulliel en connaissait un rayon sur le sujet, mais il s’est tout de même plongé dans le livre de la journaliste de mode britannique Alicia Drake : Beautiful people : Saint Laurent, Lagerfeld, splendeurs et misères de la mode. "Je me suis documenté un maximum, comme aurait fait n’importe quel acteur. L’acteur a également pu se rendre dans l’appartement situé rue de Babylone ; et a eu accès à quelques documents et images d’archive", ajoute-t-il.
De l'aveu même du réalisateur, le scénario de Saint Laurent répond à une structure tripartite parcourant les étapes clés de la vie du personnage : "La première, qui va jusqu’au défilé 1940, juste avant la fameuse photo où Saint Laurent pose nu, nous l’avons appelée « Le Jeune Homme ». La deuxième, de la photo à la fin de l’histoire avec de Bascher, c’est « La Star ». Et la troisième, 1976, «YSL» : Yves devient une marque, il ne sait plus qui il est… C’est là que le contraste est le plus important entre le haut et le bas. (...) Ces trois parties avaient pour sous-titres « Le Jour », « La nuit » et « Les Limbes ». C’est en 1976 qu’a lieu le saut en 1989, où on découvre Helmut Berger en Saint Laurent : le corps a changé, mais la voix reste celle de Gaspard."
Bertrand Bonello appelle à ne pas considérer Saint Laurent comme un biopic quelconque : "Le film ne montre pas comment Saint Laurent est devenu Saint Laurent, mais ce qui lui en coûte d’être Saint Laurent. C’était avec Thomas notre axe principal depuis le début. Ce que cela lui coûte de passer du noir et blanc à la couleur, du figé à l’aérien, de devoir livrer quatre collections par an, d’être une star… il ne s’agissait pas du tout de démythifier (…) Le film se rapproche de Saint Laurent pour se rapprocher de son affect, pas pour le rendre banal ou compréhensible."
Comme la durée de la scène où l’on peut apercevoir Jérémie Renier, sous les traits de Pierre Bergé, en pleine discussion avec un homme d’affaires américain. Cette séquence à elle seule a nécessité neuf jours d’écriture. "C’est la seule scène de business. Il fallait que le spectateur ne comprenne pas tout mais qu’il soit impressionné par les échanges et qu’il saisisse que l’enjeu concerne la récupération du nom de Saint Laurent (...) Cette scène devait avoir un effet de réel", commente le réalisateur.
"Le plus difficile techniquement a été de devoir fabriquer deux collections de haute couture mythiques d’YSL à partir de rien ou presque, sans avoir accès aux archives et robes authentiques de la fondation Bergé Saint Laurent", révèle la costumière Anaïs Romand, qui poursuit : "Ça a été un véritable travail de fourmi que de décrypter la documentation pour trouver les bons volumes, les bonnes matières, les couleurs les plus justes et ne pas trahir l’esprit d’YSL, tenter de porter à l’image la nouveauté, la fraîcheur et la somptuosité de ces collections, et pour ça le cinéma aide beaucoup !"
Bien avant que Bertrand Bonello ne le sollicite, Gaspard Ulliel était déjà censé incarner Yves Saint Laurent, sous la direction de Gus Van Sant. C’est sur le tournage de Paris, je t’aime que l’acteur et le réalisateur se rencontrèrent. Gus Van Sant, frappé par la ressemblance entre Ulliel et le styliste, envisagea de lui offrir le premier rôle d’un éventuel biopic. Mais le projet, resté secret, fut avorté.
C’est dans un hôtel particulier parisien situé avenue d’Iéna que Bertrand Bonello et son équipe se sont installés pour tourner la majorité des scènes d’intérieur. "Nous avons loué un immense hôtel particulier que nous avons utilisé comme studio pour presque toutes les scènes, sauf celles de défilés et de boîtes de nuit : la rue Spontini, Babylone, les ateliers, Libération, la chambre de Proust … ", confie le réalisateur. Une vingtaine de décors ont été montés pour les besoins du tournage et le plus complexe à créer fut, d’après la chef décoratrice Katia Wyszkop, l’appartemment de la rue Babylone, orné d'innombrables œuvres d’art et pièces de collection.