Le film de Bertrand Bonello bat à plates coutures la daube de Jalil Lespert..... Comme je l'avais écrit en son temps, le sympathique Lespert n'y était pas chez lui, pas à sa place, alors que Bertrand Bonello est comme un poisson dans l'eau dans l'univers glauque, sulfureux de cette, finalement triste, biographie.
Je l'avais écrit aussi, le film "officiel" aurait du s'appeler Hagiographie de Saint Pierre Bergé, tant il était conçu à la gloire de l'amant dévoué qui consacra sa vie à tenter de sauver son compagnon de ses démons..... alléluia, amen! De plus, le pauvre Guillaume Galienne y était complètement à côté de ses pompes! Ici, Jérémie Renier compose un Bergé bien plus crédible, ne serait ce que physiquement, avec un côté un peu sec, patronal, efficace, plutôt crédible.
Pour ce qui est du rôle éponyme, Pierre Niney était hallucinant. Eh bien, Gaspard Ulliel, avec une ressemblance beaucoup moins évidente mais une recherche réussie des postures, du placé de voix....est largement aussi bien.
Là où nous avions un biopic plat, Bonello compose un opéra de la déchéance. Si le début se traîne un peu, la dernière heure est magnifique. C'est une sorte de patchwork, de vitrail de moments et d'époques; Yves extrait de sa clinique pour assister à la présentation de la sublime collection russe; Jacques de Bascher, le mauvais génie, (Louis Garrel qui, avec sa moustache, a l'air de sortir d'un téléfilm sur Guy de Maupassant!) mourant du sida, seul avec son ours en peluche (dans ces moments là, ils se carapataient, les anciens compagnons de bringue...); Yves à la fin de sa vie, interprété de façon pathétique par un Helmut Berger tremblotant, enfermé sous la garde de son valet de chambre dans cet appartement musée, entre son bouddha et sa collection de camées, avec des moments symboliques forts (Le vieil Helmut Berger regardant, sur l'écran de sa télévision, le jeune et bel Helmut Berger dans les Damnés....
Les deux muses, Loulou et Betty, sont interprétées de façon charmante par Léa Seydoux et Aymeline Valade, et Dominique Sanda fait un petit tour de piste en madame St Laurent...
Sur la déchéance d'Yves, Bonello va encore plus loin que Lespert. L'alcool. Les médicaments. La drogue. Les dragues nocturnes en compagnie de Jacques derrière des palissades de chantier ou dans des pissotières de gare. Et là, je repose la question: était ce nécessaire d'étaler sur la place publique la face noire du plus grand couturier de tous les temps? Bonello y répond de façon très viscontienne, en inscrivant la dérive d'Yves dans la longue lignée des destins tragiques d'artistes maudits, poètes opiomanes, peintres suicidaires, comme si le génie était trop insupportable à porter. Mais ma question reste.
A voir, évidemment.