Saint Laurent était un film des films que j'attendais le plus cette année, forcément revoir un Bonello après les deux sublimes Apollonide et De la guerre, ça fait envie. Cependant je ne connais pas Yves Saint Laurent et je me fous totalement de sa vie. Mais bon si Fincher peut m'intéresser avec l'histoire de facebook, Bonello peut m'intéresser avec de la couture.
Et c'est réussi, alors ça ne m'a pas profondément touché comme ses deux films précédents, cependant c'est dans la même lignée, on retrouve le Bonello qui a mille idées à la seconde, le Bonello qui sait prendre son temps pour montrer une scène "banale" et la sublime avec de la musique qui pourrait sembler hors propos. C'est ça la force de Bonello, son cinéma, il arrive à le sublimer en choisissant la bonne musique au bon moment et ça c'est extraordinaire. Alors oui aucune scène ne vaut celle de l'Apollonide avec night in white satin, mais tout de même ! Celle avec I put a spell on you au début vaut le détour et ce n'est pas la seule. On retrouve donc cette beauté propre à Bonello et ce n'est pas pour me déplaire.
D'ailleurs il adopte un ton très posé, proche du spleen dans son film, ce qui fait que de voir Ulliel parler en imitant la voix de Saint Laurent supportable. Parce que oui l'imitation, le factice rien de plus insupportable, sauf que là ça passe bien (et même pour Renier) mais ce n'est en rien lié à leur "jeu"/"imitation", mais c'est vraiment le fait que le ton du film, ce côté lancinant, rêveur, rêveries de dépressif colle superbement bien avec l'intonation de la voix modifiée d'Ulliel. On n'est pas dans le réel, on est perché quelque part dans les délires et fantasmes de Saint Laurent.
Je dois souligner aussi une scène sublime (entre autres, il y a tant à dire) où au contraire on est profondément dans le réel, Berger et un américain discutent dans une longue séquence avec une traductrice. Là où un autre film aurait mis alternativement une voix plus forte que l'autre en fonction de ce qui importe, ici Bonello ne touche pas (ou quasiment pas) au son et on arrête alors la rêverie pour se trouver violemment confronté au quotidien de la gestion financière d'un groupe comme Saint Laurent.
En parlant de Berger, il n'a pas aimé le film, a tout fait pour faire en sorte qu'il ne sorte pas et je comprends, il est montré comme un petit être dans l'ombre de Saint Laurent qui tente de tout contrôler, d'ailleurs la première fois qu'on le voir est particulièrement significative, il arrive, on ne voit que son reflet, de loin, dans un miroir, le type qui rôde, qui veille, qui surveille même. Bref un vrai personnage de cinéma très intéressant car il a cette ambigüité, il semble "gentil" en apparence, mais on le voit dévorer de façon implicite Saint Laurent.
D'ailleurs ce dernier a aussi un part d'ombre, certes il y a son passage sous acide, etc, mais je ne pense pas à ça, car ce n'est pas traité comme si c'était atroce ou autre, au contraire, on retrouve notre spleen, mais ces petites remarques qu'il peut faire et qui sont assez sèches même avec sa douce voix.
Le point d'orgue du film est bien entendu le défilé, que Bonello a monté d'une façon plutôt bien sentie avec un Saint Laurent plus vieux, limite sénile.
Dans les autres choses bien senties il y a le début, avec le splitscreen montrant d'un côté les collections de Saint Laurent et de l'autre les faits marquants de l'actualité de l'époque. On a vu ce qui se passait dans le monde extérieur, Bonello ne dit pas que ça n'existe pas, mais maintenant il faut plonger dans le monde extravagant et fantasmé de Saint Laurent et se préoccuper uniquement de ses problèmes de petit bourgeois.
Finalement Saint Laurent arrive à être bien plus qu'un simple film de commande, c'est un film extrêmement riche, long aussi, mais très riche. Cependant il a pour défaut de ne pas avoir réussi à m'émouvoir et pourtant voir Garrel recoudre un oeil de son ours de peluche c'est vraiment beau.