Vous ne serez pas déçu de ce voyage au pays des femmes cloitrées, tellement il y a de dynamisme et de vie dans ce petit bout de nana, Wadjda, douze ans, et bien décidée à aller au bout de ses envies!
Et c'est quand même quelque chose que le premier film saoudien, tourné et produit en Arabie Saoudite l'ait été par une saoudienne -oui, une femme! Certes, Haifaa Al Mansour a eu la chance de naître dans une famille progressiste, de faire ses études au Caire, de travailler dans une compagnie pétrolière (où on l'initia à la caméra, pour des films promotionnels) et finalement d'épouser un américain, mais c'est bien elle qui a été financée par un membre de la famille royale et qui a dirigé le tournage, parfois (en ville) cachée dans son camion -régie pour ne pas avoir à côtoyer les techniciens mâles.... et choquer les passants. Drôle d'histoire, drôle de pays....
Donc, notre petite Wajda (Waad Mohammed) est l'unique fille d'une famille aisée vivant dans les faubourgs de Ryad. Famille qui se délite: le père est sur le point de prendre une deuxième épouse.... Elle va dans une école où elle est telle quelle: indiciplinée et passablement insolente.... Elle porte un jean slim et des baskets sous sa blouse -quand on lui reproche de ne pas porter de jolies petites ballerines noires comme ses compagnes, elle peint les dits baskets en noir.... Et au lieu de chuchoter des petits secrets avec des copines, son seul ami est....un garçon, Abdallah (Abdullrahman Al Gohani) qu'elle fait d'ailleurs tourner en bourrique.... et qui veut cependant l'épouser, plus tard! Et ce qu'elle veut, Wajda, c'est un vélo, comme Abdallah, et pour faire la course avec lui.
Wadjda a de la répartie, voire cruelle. Quand sa maman, la très jolie (quoique grassouillette...) Reem Abdullah, lui dit que le vélo, c'est interdit aux filles, et que si elle en faisait, elle ne pourrait jamais avoir d'enfant, elle lui rétorque "toi tu ne peux plus avoir d'enfants, et pourtant tu ne fais pas de vélo". Et elle économise, sous par sous, pour acheter le cycle de ses rêves qu'elle a même retenu chez le marchand, l"achetant" au moyen d'une cassette clandestine de chansons.... Elle réalise donc des cassettes clandestines, elle fabrique et vend des bracelets -scoubidou aux couleurs des équipes de foot.... et si une fille voit en secret, horreur! un fiancé, Wadjda fera passer les billets -moyennant finances.... Oui, une sacrée petite bonne femme. Et, voilà le grand concours..... de récitation du Coran. Avec le prix, là, le vélo, c'est tout de suite! Jusque là, Wadjda ne s'est pas particulièrement intéressée au Coran, se bornant à faire ses prières aux côtés de sa mère, mais là, elle s'inscrit, et ça a l'air vachement compliqué: en fait, le Coran doit être écrit dans un arabe ancien complètement différent de la langue parlée en Arabie Saoudite. Et il faut le psalmodier.... Attention: si une des fillettes a ses règles (toute la petite troupe se met à glousser comme toutes les gamines du monde....) elle ne doit pas toucher le saint livre: il faut le manipuler avec des kleenex.... Une des gamines apporte des photos (c'est interdit). Ce sont les photos de son propre mariage.... avec un vieux de vingt ans! (toute la petite troupe glousse...)
Le collège est dirigé d'une main de fer par madame Hussa (la belle Ahd). Rien ne lui échappe. Deux fillettes qui s'isolent dans une arrière cour, cela déclenche toute une enquête (en fait, elles se vernissaient les doigts de pied en vert....). Deux ouvriers, sur un toit, peuvent VOIR les fillettes! Toutes s'enfuient, sauf Wadjda qui continue à jouer à la marelle. Ajoutons que si les hommes ne doivent pas VOIR les femmes, ils ne doivent pas non plus les ENTENDRE. Si des femmes bavardent sur leur terrasse, elles doivent le faire à voix basse pour que les hommes de la maison voisine ne puissent pas entendre le son de leur voix.... Hallucinant, non?
Bien sûr, elle gagnera le concours. Mais hélas, quand madame Hussa lui demandera ce qu'elle compte faire avec son prix, elle répondra "acheter un vélo".... et le prix se trouvera aussitôt transformé en un don "pour nos frères palestiniens".... Wadjad est culottée, mais pas assez méfiante.
Ce qui est hallucinant, c'est de voir à quel point les femmes défendent leur propre enfermement. Elles sont les premières geollières d'elles même. Madame Hussa est un vrai dragon. Comment comprendre cela? Elles peuvent travailler, par exemple enseigner (dans une école de filles, évidemment). Mais sont tributaire d'un taxi qui les prend en charge et ne verra, lui non plus, jamais rien d'elle qu'un fantôme voilé de noir. Ainsi la maman de Wadjda doit endurer plusieurs heures de transport, avec un taxi jamais content. Pour elle, se présente une occasion formidable: travailler dans un hôpital près de chez elle, où est déja sa meilleure amie, Aïcha. Elle n'a plus grand chose à attendre de la vie, cette jeune femme, maintenant que son mari est parti chez une plus jeune qu'elle. Que lui reste t-il, à part vieillir et grossir entre ses quatre murs? Eh bien, quand elle se rend compte qu'Aïcha travaille, visage découvert, au milieu d'hommes -elle s'enfuit. Elle ne peut supporter cette idée. Pourtant, quand on les voit, chez elles, entre femmes, en talons hauts, jeans moulants, et jolies blouses, elles ont l'air tellement élégantes, modernes, elles pourraient être italiennes.... Hélas, elles sont du pays des femmes cloitrées, et ne peuvent même imaginer que cela change.
Sauf que, quand on voit Wadjda pédalant sur le vélo qu'elle a finalement obtenu, laissant Abdallah à la remorque, pédalant avec son slim bien collant et son abaya flottant au vent, jusqu'à la grande route, on se dit que, peut être, la nouvelle génération nous (et leur) réservera des surprises...
Film à voir absolument, parce que c'est une plongée dans une société qui nous est totalement opaque, et à cause de cet épatant personne de petite fille, tellement tonique -on se dit qu'avec elle et l'héroïne des "Bêtes du Sud Sauvage", ce sont les petites filles qui sauveront le monde....
J'aimerais bien savoir quel peut être le statut des deux jolies actrices, maintenant que le monde entier a vu leur chevelure, leurs bras, leurs formes? Qui peut me répondre? Sans doute ne sont elles pas saoudiennes et viennent elles d'un pays, comme le Qatar ou Bahrein, aux moeurs assouplies....