La vie des femmes en Arabie Saoudite... vous l'imaginez comment ? Soumises au bon vouloir des hommes, des juges et de la tradition, elles sont astreintes à des quantités d'interdits, voilées, portant burka et abaya, et la loi islamique ne les favorise guère. Dans la vie quotidienne, elles sont un peu des êtres humains de seconde catégorie, n'ayant pas de droits civiques, n'ayant pas le droit de conduire et encore moins de faire de vélo, devant demander l'autorisation de leur «gardien» mâle - mari, père ou fils - pour sortir du pays.
Alors que, dans une ambiance pareille, un film ait osé parlé de la condition féminine, de ses absurdités, de ses humiliations, c'est déjà un miracle. Mais que, de surcroît, ce film ait été tourné par une femme, Haifaa Al Mansour, cela mérite d'être souligné, et surtout soutenu.
Ce film est absolument délicieux, sensible, et raconte une histoire toute simple, celle de la relation entre une mère et sa fille et de leur vie dans la société de Ryad. Et c'est fou ce qu'Haiffa al Mansour arrive à faire passer dans ce modeste opus. On y voit comment les femmes ne peuvent ni rire ni parler, sans parler de montrer leurs visages, pour ne pas troubler les hommes. On ne doit ni les voir, ni même les entendre. On y saisit à chaque instant le caractère obsessionnel de frustration réciproque qu'engendre ce rigorisme extrême. Les "deux camps" finissent par ne plus penser "qu'à ça", se voir, se croiser, se parler. On y comprend combien le fait de n'avoir point de voiture est un handicap social grave, entravant le moindre déplacement, soumettant les femmes à la nécessité de payer un chauffeur, voire au bon vouloir du chauffeur lui-même, fut-il émigré et pauvre comme Job. Rappelez-vous de la manifestation «femmes au volant» du 17 juin 2011.
Le film insiste ensuite sur l'éducation très rigoriste, essentiellement religieuse, parfois carrément bornée, qui est dispensée aux jeunes filles. Saupoudrée de quelques éclats de rire, étayée par une petite intrigue toute simple, l’œuvre reste très émouvante, voire bouleversante, tant le ton est juste et sincère. Pas question pour Haifaa de se livrer à une quelconque caricature, les hommes ne sont pas les bourreaux des femmes, loin de là, ils sont plutôt tous soumis à un même système exagérément conservateur, à la limite de l'oppression, social autant que religieux, niant les libertés individuelles et la liberté personnelle, tout cela au milieu de la plus parfaite hypocrisie. Et l'obsession de la tentation, Satan est cité sans cesse, rend tout le monde très nerveux. On y parle aussi discrètement, de l'exploitation des travailleurs émigrés, pakistanais, indiens, qui "construisent" le pays, dans des conditions de vie terriblement pénibles, et fort durement traités.
On imagine combien le tournage du film par la réalisatrice, à Ryad même, a tenu de l'exploit. Il a même été difficile de trouver une petite saoudienne pour assurer le rôle : toutes celles qui se présentaient étaient trop "dans le moule", trop douces, pas assez effrontées. Or la réalisatrice voulait manifestement une gamine lui ressemblant, avec du caractère, une volonté d'acier et un superbe sourire. La petite Waad Mohammed, au milieu des autres, tranche dès les premières images : elle est vive, gaie, impertinente sans être insolente, armée d'une volonté farouche qui donnent à ses provocations une évidence incontournable. Elle joue délicieusement, fort bien dirigée et ayant manifestement un charisme personnel qui lui permet d'affirmer une forte personnalité. Le rythme, bien que l'intrigue soit mince, est assez enlevé : on ne s'ennuie pas quoique ce soit assez lent, disons plutôt paisible, car il y a tant à comprendre entre les images, entre les mots aussi, même sobres. Chaque anecdote mérite qu'on s'y arrête pour en peser le poids de conséquence sur la vie des femmes : cela va de l'essai d'une robe dans les toilettes d'un grand centre commercial, à la panique qui saisit la mère de l'héroïne quand elle voit son amie sans burka travailler dans un hôpital voisin qui semble devenu un lieu de perdition, en passant par les femmes qui s'accroupissent derrière la balustrade de leur terrasse en pouffant quand, par hasard, un homme lève ses yeux vers elles.
Je suis ressortie vraiment émue du cinéma, bouleversée par cette ambiance étouffante et très archaïque, séduite par le jeu des acteurs, particulièrement les enfants, et touchée par le propos de la réalisatrice qui ne demande qu'une modernisation raisonnable de la culture et des conditions de vie des femmes saoudiennes. Que les interprétations approximatives de la loi religieuse, mêlées aux rigueurs implacables de la tradition s'allègent pour leur permettre enfin plus d’autonomie, voire de respect de leurs libertés fondamentales.
Un film à aller voir s'il passe vers chez vous, ne serait-ce que pour faire œuvre de soutien à une cause qui n'est nullement féminisme mais simple humanitaire.