Danny Boyle et Aaron Sorkin nous présentent ici ce qui semble être le deuxième volet de la trilogie sociale entamée par The Social Network, mais cette fois pour parler de l’énigmatique pionnier d’Apple, Steve Jobs. Biopic volubile très sobre, qui fouille la conscience de cet homme ingérable qui a mis vingt ans avant de reconnaître sa fille, on le découvre à trois moments de sa vie, avant les lancements du Macintosh, du NeXT et de l’IMac. Un film qui parle avec fulgurance d’un cerveau mathématique et radical.
Il y avait eu un biopic de Jobs en 2013, mais on a préféré ne pas en parler. S’il était académique et poussif, celui de Boyle est beaucoup plus rythmé. En fait, sa force réside dans une propension à la parole omniprésente. Les dialogues constituent le matériau principal, de telle sorte qu’ils transforment le film en une pièce de trois actes, cadencée, calibrée par les joutes verbales, les disputes, les idées jetées comme dans un jeu de poker. C’est une effervescence sociale qu’engendre la vision du co-fondateur d’Apple : angoissé, odieux, bourreau de travail et de ses employés, à la fois philanthrope et méprisant, ce personnage nous apparaît paradoxal, propre au théâtre. Michael Fassbender le joue sans trop de recul ; il se plonge presque naturellement dans la peau de ce génie qui – petite anecdote – a nié sa paternité. On le découvre sous un angle plus personnel et forcément, plus intéressant. Peu importe si il y a une part d’invention, une fin hollywoodienne un peu niaise, l’ensemble tient la route, dans une reconstitution d’époque ingénieuse qui change de photographie après chaque ellipse. Tous les personnages ont leur carte à jouer. Le trio formé par Joanna, Woz et Sculley est lui aussi passionnant, tant par son obstination, sa résistance que par la présence que chacun d’eux marque à l’écran. Côté protagonistes, le casting reste irréprochable.
Cependant, il n’est pas omettre que le film présente des défauts. Certes, ils ne sont pas flagrants ni gênants mais empêchent de sentir devant l’écran une certaine aisance. A savoir le script, justement. On ne va pas reprocher à Aaron Sorkin sa verve régulière et efficace, pourtant le fait qu’elle ne se calme jamais (au contraire !) manque par moments de nous perdre. Ca parle trop tout le temps, ça déborde, et les sujets de conversation ne sont pas souvent clairs. De plus, les acteurs n’ont pas le champ libre pour exprimer d’émotions : c’est sous un mur de répliques qu’ils enfouissent les sentiments de leurs personnages. Kate Winslet n’a jamais paru aussi sobre, aussi sévère dans son regard et son ton. Jeff Daniels, de même. Il n’y a que Seth Rogen qui traîne sa rancune et son indulgence derrière des regards de soumis qui changent assez vite. Le problème, dans tous les cas, ne vient pas de la mise en scène ; tout est très bien calculé, réglé afin de faciliter la compréhension du spectateur, avec de longs plans-séquences, tous de trois quarts d’heure. Il y a de jolies trouvailles en terme de lumière, de contrastes, puis cette manière de filmer le public comme des fidèles devant leur idole a quelque chose de religieux, d’hystérique face à un homme si controversé en coulisses. Somme toute, c’est une certaine artificialité qu’on pourrait reprocher à Steve Jobs car certains échangent sentent ceux qui comblent les temps morts. Mais bon…on oublie vite ce petit détail quand on voit ce visionnaire disparaître dans le flou. Dans la société.