Danny Boyle est définitivement un génie et, surtout, un des rares metteurs en scène capables de transcender, par sa puissance visuelle et son sens du récit, n’importe quel sujet. Il était, d’ailleurs, le seul nom me venant à l’esprit pour remplacer David Fincher après son départ du projet. Et, au final, son "Steve Jobs" est une petite merveille… et peut-être un de ses meilleurs films, dans une filmo qui compte, pourtant, déjà quelques pépites ("Sunshine", "Slumdog Millionaire" ou "28 jours plus tard", pour ne citer que quelques exemples récents). Il faut, néanmoins, admettre qu’il n’est pas le seul responsable de ce coup d’éclat, qui doit, également, beaucoup, au scénariste Aaron Sorkin (à qui on doit déjà l’excellent "The Social Network", auquel on pense énormément pendant ici). C’est lui qui a accouché de l’idée de génie qui change tout : évoquer la vie de Steve Jobs sous l’angle d’une tragédie shakespearienne en trois actes (soit la plus-value qui manquait au "Jobs" avec Ashton Kutsher). Ce parti-pris permet de resserrer l’histoire et, ainsi, de faire l’économie du classicisme propre à tout biopic en se permettant, au passage, de supprimer tout ce qui aurait pu parasiter le propos pour, au contraire, se concentrer sur l’essentiel. "Steve Jobs" se limite, ainsi, à une poignée de personnages qui reviennent lors de chacun de ses trois moments clés, à savoir trois présentations de lancement de produits. Si cette façon de faire tord un peu le cou à la réalité historique (certains événements évoqués ne se sont pas forcément déroulés lors des minutes qui précédent la présentation), elle n’en demeure pas moins génialement habile puisqu'elle permet de s’attacher aux personnages (formidablement denses) et, surtout, de faire de chaque seconds rôles le révélateur d’une facette de la personnalité ô combien complexe du créateur d’Apple. Son assistante Joanna (Kate Winslet, impeccable) est, ainsi, sa bonne conscience
qui tente de le rendre plus humain
, son pote Steve Wozniak (Seth Rogen, bien plus fin qu’à son habitude) est le fantôme de son passé
dont il tente de minorer l’existence au profit de sa propre légende
, John Sculley (Jeff Daniels) est le
père spirituel qu’il veut tuer
, son ex Chrissan (Katherine Waterston) est
son erreur de jeunesse qu’il refuse d’assumer
… Quant à sa fille Lisa, elle est le véritable fil conducteur du film à qui elle offre son point fort le plus inattendu. La relation entretenue entre Jobs et cette fille
qu’il ne voulait pas reconnaître
aurait, en effet, dû être le boulet de l’histoire et s’avère, au contraire, son catalyseur et la cause des moments les plus bouleversants du film
(le "je veux vivre avec toi" chuchoté par la petite fille lors d’une étreinte inattendue m’a tiré les larmes)
. On ne s’étonnera, d’ailleurs, pas vraiment que le personnage de Steve Jobs soit relativement peu épargné
(malgré un final peut-être un peu trop enjolivée, mais qui fait un bien fou)
. Plus que son perfectionnisme, sa mégalomanie et son intransigeance, c’est surtout son grand vide intérieur
(imputé à son adoption)
qu’on ressent à chaque seconde du film. La façon dont il tente de compenser ce vide par un refus de tout sentimentalisme, couplé par des gestes souvent maladroits et disproportionnés, achève de faire de Jobs un passionnant personnage de cinéma. La prestation de Michael Fassbender vient parachever le chef d’œuvre, tout comme les dialogues, qui sont d’une précision machiavélique. Sorkin a, d’ailleurs, d’ailleurs su trouver un équilibre parfait entre puissance dramatique, charabia informatique, clins d’œil fun pour les geeks, anecdotes incroyables
(voir, notamment, l’histoire du père de Jobs)
et punchlines bien senties (voire franchement drôles). Danny Boyle n’avait plus qu’à mettre son génie visuel au service de ce script fantastique... et c’est peu dire qu’il a parfaitement accompli sa tâche. Rythme parfait qui ne laisse pas une seule seconde de répit au spectateur, montage impressionnant, utilisation payante des flashbacks, rupture de ton, BO accentuant les effets… j’ai beau cherché, je n’ai pas trouvé de défauts à la réalisation ! On peut, du reste, mesurer la réussite du film au seul fait qu’il soit parvenu à évoquer la vie de Steve Jobs sans évoquer l’iPhone, qui restera, pourtant, comme son produit le plus culte ! "Steve Jobs" est, donc, une petite merveille injustement boudé lors de sa sortie et qu’il faut découvrir à tout prix !