On peut dire que Karyn Kusama est une réalisatrice qui se cherche encore un genre de prédilection ou bien qui s'avère très éclectique : elle gagne en notoriété avec le film sportif-dramatique Girlfight (2000), enchaîna par de la science-fiction avec Aeon Flux (2005), s'essaya à la teen-comedy horrifique avec Jennifer's Body (2009) et plus récemment a tourné The Invitation, un film s'inscrivant dans le thriller psychologique et le huis-clos. Quelque part on ne peut que respecter cette diversité filmographique dans la mesure où Kusama aime la prise de risque et n'hésite pas à changer son fusil d'épaule. Qu'en est-il donc de The Invitation ?
Will est un homme meurtri par un évènement tragique qui a brisé le couple qu'il formait avec Eden, ils se sont perdus de vue et ont perdu le contact durant deux années, puis Will a rencontré Kira qui est devenue sa compagne. Ils se rendent à une soirée organisée par Eden et son compagnon David dans l'ancienne maison de Will visant à réunir leurs amis respectifs et à tourner un chapitre de leur vie. Mais les intentions d'Eden et de David tout comme celles de leurs amis Sadie et Pruitt qu'ils ont rencontré lors d'un séjour au Mexique sont obscures et Will commence à devenir suspicieux sur les motifs réels de cette invitation...
Le ton est donné : on se doute que quelque chose de malsain est à l’œuvre et la progression de l'intrigue le rappelle sans cesse au spectateur. Il y a cette tension qui va crescendo à la manière d'un film de Tarantino (le côté provocateur en moins), cette mécanique froide que l'on retrouve dans plusieurs gros polars et thrillers scandinaves. On flaire immédiatement un truc pas net à l'instar de Will, témoin oculaire de situations et d'actes troublants mais qui à l'instar d'un fantôme tente de montrer par son côté silencieux et interpellateur qu'un malheur s'apprête à tomber. Seulement on ne devine que petits bouts par petits bouts ce qui se trame, comment et pourquoi. Le doute est permis car on se demande si Will, si stoïque et si borderline à la fois, ne sombre pas dans un délire paranoïaque qui le conduira à sur-interpréter des faits qui ne sont pas avérés
(l'exemple le plus prégnant est sans aucun doute le passage où il découvre que son ami Choï, convive manquant de la soirée est arrivé en premier sur les lieux pour apporter un gâteau)
au risque de fragiliser un peu plus les maigres liens affectifs et relationnels qu'il entretient, ce qui pourrait nous faire songer à des films type Festen (1998) ou La Chasse (2012) de Thomas Vinterberg, ou bien si son intuition est fondée et que les hôtes de la soirée ne sont pas clairs.
Par moments des flashbacks nous en disent un peu plus sur le précédent couple formé par Will et Eden, ainsi que sur l'épreuve qui a conduit à sa rupture
(en l'occurrence, le décès accidentel de leur fils au cours d'un barbecue avec leurs amis, décès ayant conduit Eden à tenter de se suicider et plongé Will dans la dépression)
au fur et à mesure que Will visite certaines pièces. A ce titre Logan Marshall-Green par ses attitudes, postures et ses expressions fermées parvient à nous rappeler la prestation d'un Mads Mikkelsen ou encore de Tom Hardy dans des rôles à fleur de peau. On compatit avec son personnage qui ne peut lâcher prise, qui ne peut oublier et s'égayer avec ses semblables et qui explose lorsqu'il relève des choses en apparence anormales
(ce qui paradoxalement lui évitera le pire)
. De son côté, Tammy Blanchard joue une Eden radicalement transformée après la tragédie, au sourire dissimulateur et au discours mystique, sur la même longueur d'onde que Michiel Huisman, à la fois doucereux et très trouble. John Carroll Lynch et Lindsay Burdge ne sont pas en reste : là où le premier est d'un calme olympien tout en inhibition, la seconde est exaltée et très décomplexée. Le reste des acteurs campent très bien leurs rôles respectifs, allant du couple homosexuel et classe moyenne au couple asiatique, tentant de profiter au mieux de la soirée mais tout à la fois inquiets et interloqués par les mises en gardes de Will et les actes étranges d'Eden, David, Sadie et Pruitt. Emayatzy Corinealdi dans son interprétation de Kira sert de contrepoids au personnage de Will, à la fois soutenante, aimante mais aussi soucieuse de l'état de son compagnon.
Alors que reprocher à ce film ? Sans doute ce que j'ai mentionné plus haut : sans être cousu de fil blanc, on sait rapidement de quel côté va pencher la balance du spectateur, aussi on sent que le but est de gagner du temps pour laisser le mélange bouillir jusqu'à déborder. Ce film est conçu comme une pulsion au sens psychanalytique : source, poussée, décharge, but. C'est très schématique et du coup on peut très vite spéculer et viser dans le mille
(Eden, David, Sadie et Pruitt se sont retrouvés fanatisés par les préceptes du gourou d'une communauté sectaire qui prône la fin de la souffrance humaine par le suicide collectif -même si on peut parler de meurtre avec préméditation ici- et veulent partager ça avec leurs invités
), mais on peut aussi être rebuté par ce déroulement très rigide, perturbant au point que l'on décroche car le malaise devient étouffant jusqu'à l'insupportable. En fait tout se joue dans les 20 dernières minutes, on peut se demander "Pourquoi nous faire mariner durant 1h20 pour ce que l'on pressent déjà" ?
Malgré ses imperfection, la mise en scène et le scénario captivent, à mon avis The Invitation dérange par la façon dont il aborde des thèmes qui nous concernent car ils peuvent nous arriver réellement, ça a déjà eu lieu et ça arrivera malheureusement encore, soulignant ce que nous savons que trop bien :
l'homme reste un loup pour l'homme, on ne peut jamais totalement connaître les gens et savoir ce qu'ils ont en tête ou ce qu'ils sont capables de commettre lorsqu'ils traversent des moments difficiles, faisant d'eux des proies de choix pour tous les gourous qui peuvent les pousser aux raisonnements les plus sordides et aux actes les plus extrêmes.
La fin est relativement inattendue selon si vous prêtez ou non attention à un certain passage, laissant place à un constat amer sur la condition humaine.
A vous de visionner ou pas ce thriller efficace, de mon côté j'attends de voir à quel genre Karyn Kusama compte s'attaquer.