Ah bah quand même! C'est pas trop tôt! Le voilà enfin, le film sur la carrière fulgurante de Jimi Hendrix!! Le fameux biopic qu'on attend depuis…pfffff !! Yes!!! Oui…mais non. En fait. Bon comment annoncer la chose à ceux qui ne sont pas déjà au courant…Vous vous attendez à découvrir l'enregistrement du premier hit, "Hey Joe", l'écriture des paroles de "The wind cries Mary", la genèse de "Purple haze" ou "Foxy Lady"? Vous espérez que la sublimissime intro de "Little wing" va venir vous caresser les tympans, entendre rugir la pédale wha-wha de "Voodoo chile" ou vous délecter de la reprise de "All along the watchtower" écrasant l'originale de Dylan ?? Vous avez envie d'assister à la négo tendue avec Pete Townshend en coulisses du festival de Monterey pour décider qui jouerait en premier, suivi de son premier cramage de Stratocaster sur scène ?? Ou savoir pourquoi il a fait de l'hymne américain une déflagration sonore, au petit matin du dernier jour de Woodstock?? Ou admirer Cynthia "Plaster Caster", célèbre groupie (dont on peut aujourd'hui visiter le site internet totalement surréaliste), en train de débuter sa collection de moulages de sexes du rock avec celui réputé impressionnant de Hendrix?? Vous comptez vous régaler devant la session photo de la pochette censurée de "Electric Ladyland"? Ou bien enfin vous avez la volonté morbide d'être le témoin de l'entrée du guitariste dans le club des 27, de le voir caner piteusement dans son vomi trois ans seulement après avoir mis le monde du rock à genoux??? Et bien vous savez quoi: tous ces espoirs et autres fantasmes, vous pouvez vous les carrer bien profond dans une partie de votre anatomie qui n'est pas souvent visitée par la lumière du jour…Et pourquoi donc?? Z'avez qu'à lire la suite. Si vous êtes une feignasse ou que vous vous en foutez, et ben passez votre chemin!
Alors, pour ceux qui ne sont donc pas découragés, le film commence comme ça: nous sommes à la mi-66 au Cheetah Club à New York. un certain Jimmy James se morfond sur scène, ses immenses paluches se baladant nonchalamment sur les cordes de sa guitare pour accompagner un modeste groupe de R&B, réussissant quand même à placer un petit solo avec une certaine dextérité devant l'indifférence feutrée des quelques personnes bavassant dans la pénombre de la salle. Une seule ouvre grand ses magnifiques yeux bleus, semblant ressentir comme une exaltante sensation de dénicher un vrai Modigliani dans une brocante. Il faut dire que la demoiselle s'y connaît un peu question talent guitaristique puisque c'est la petite amie officielle de Keith Richards, la bien-nommée Linda Keith. Après avoir fait gobé à Jimmy son premier acide puis lui avoir offert une six-cordes du guitariste des Stones (amusant d'entendre plus tard Keith Richards asséner qu'Hendrix est un drug addict pour inciter le père de Linda à rapatrier la belle en Angleterre), elle le présente à Chas Chandler, bassiste des Animals, qui se déboîtera sensiblement la mâchoire devant la prouesse blues du prodige au Café Wha?, avant de devenir son manager et de l'embarquer en Grande-Bretagne pour le faire découvrir au fameux Swinging London.
Ce biopic non officiel sorti direct en vidéo, signé John Riley, le scénariste de "12 years a slave", n'en est donc pas vraiment un puisqu'il se concentre uniquement sur les débuts en 1966 du plus grand guitariste de tous les temps, jusqu'à son arrivée à Monterey mi-67 pour le célèbre festival pop qui lui permettra de conquérir l'Amérique et l'inscrira dans la légende. Un parti pris justifié par le fait que les producteurs du projet n'ont pas eu l'autorisation de la famille d'héritiers des droits d'utiliser la moindre note de la musique d'Hendrix! C'est ballot, hein? Pas le moindre morceau figurant sur les trois albums studio sortis de son vivant!! Ce qui constitue évidemment le plus gros problème du film (et qui, accessoirement, explique mon intro outrageusement longue). On n'entend donc que quelques-uns des titres repris live par Hendrix à l'époque, ses parties étant reproduites en 2013 par la guitare virtuose de Waddy Wachtel. Rien à dire là-dessus, le son et le style sont là, reconstitués nickel sur le chrome de l'instrument que manie le comédien, André Benjamin. Euh André qui ?? André 3000, si vous préférez, leader du groupe Outkast. Le tube "Hey ya". Absolument. C'est ça le plus réussi et frappant dans le film: l'incarnation du guitar-hero par une star du… hip-hop, certes multi-instrumentiste mais piètre guitariste selon ses propres dires, qui plus est droitier, ayant pris des cours de 6 heures par jour pour arriver à faire semblant de jouer comme le gaucher de Seattle, donc main droite sur le manche d'une guitare pour…droitier. Ouais. Il pouvait pas être ambidextre aussi?? Bon apparemment, c'est comme apprendre à marcher à reculons mais en gardant la même démarche que lorsqu'on marche en avant. Voilà. Bien, tout ça pour dire que la performance n'en a que plus de mérite. La ressemblance est à fortiori proprement édifiante. La façon de parler, la gestuelle, les grimaces achèvent d'en faire une prestation bluffante, rappelant celle toute aussi troublante de mimétisme de Val Kilmer en Jim Morrison dans "The Doors". D'ailleurs, à l'instar du biopic d'Oliver Stone, le film a suscité une grosse controverse quant à la véracité historique de certaines scènes, en particulier celle où Hendrix tabasse à coups de téléphone sur la tronche sa régulière de l'époque, la vraie Kathy Etchingham ayant vivement et publiquement contesté ce fait tout en attaquant en justice les auteurs du "crime". Il faut préciser que ceux-ci n'avaient même pas daigné répondre aux propositions de l'ex-girlfriend rouquine d'apporter son aide pendant l'écriture du scénario, qui en fait pourtant un personnage important du film (à juste titre puisque Hendrix lui consacrera plusieurs chansons). La comparaison avec "The Doors" s'arrête là car malgré la jolie reconstitution des couleurs chatoyantes de l'époque, on est assez loin de la mise en scène furieusement déjantée d'Oliver Stone et le rythme est parfois plombé par quelques scènes de dialogues longuettes, rappelant cruellement l'absence du moindre riff mythique.
Le film n'en demeure pas moins un document intéressant pour tous les fans de rock (et donc forcément de ce génie, hein), notamment sur l'impact incroyable que cet autodidacte surdoué a eu sur ses contemporains dès ses débuts, avant même qu'il n'explose définitivement grâce à la qualité hallucinante de ses propres compos et qu'il n'explore comme personne ne l'avait jamais fait les territoires soniques et cosmiques de la guitare électrique. En témoignent certaines séquences véridiques et mémorables, à commencer par cette quasi-incruste (grâce au susnommé Chas Chandler) sur scène pendant un concert d'Eric Clapton et son super-groupe Cream à Londres. Hendrix débute une version d'anthologie du "Killing floor" d'Howlin' Wolf, rapidement suivi par la basse et la batterie. Clapton, lui, est littéralement pétrifié sur scène, humilié, incapable de plaquer le moindre accord. "God" décide plutôt de plaquer l'instant de solitude, débranchant alors violemment sa gratte et se cassant chafouin dans les loges, le manche entre les jambes. Chandler, hyper gêné, accoure fissa, Clapton lui balançant, assommé: " You never told me he was that fuckin' good…"
Autre reconstitution musicale jubilatoire certifiée conforme: cette reprise de "Sgt. Pepper's Lonely Heart Club Band" en ouverture du concert au Saville Theater de Londres avec l'Experience, trois jours seulement après la sortie de l'album psychédélique des Beatles, devant une foule en délire, dont…George Harrison et Paul McCartney, estomaqués par le culot et le talent du bonhomme.
L'intérêt du film réside aussi dans cette volonté de montrer à travers diverses séquences de débats, qu'Hendrix ne voulait surtout pas se laisser enfermer dans la moindre case, communautariste comme artistique, souhaitant avant tout que sa musique, qu'elle soit rock, pop, blues, soul, funk ou psychédélique, "pénètre l'âme des gens".
Le film mérite donc malgré les défauts pré-cités le coup d'oeil ou même un achat en blu-ray pour ceux qui comme moi, prennent ça comme un agréable hors-d'oeuvre avant le service du plat de résistance, en l'occurrence la sortie d'un vrai biopic en salles qui aura reçu la bénédiction du sacro-saint clan Hendrix, une oeuvre définitive que je rêverais de voir réalisée par Maître Scorsese. Ca va, on sait jamais, non?? 'Scusez-moi pendant que j'embrasse le ciel!