Fascinant est le meilleur terme que l’on pourrait appliquer à The Rover, le deuxième long métrage de David Michôd. Servi par la photographie soignée de Natasha Braier, et la musique entêtante d’Antony Partos, The Rover propulse Robert Pattinson au sommet de son art, le confirmant comme le plus inattendu, et surprenant, talent du moment. Michôd distille une savante alchimie entre thriller futuriste, où l’on sent l’influence de Mad Max, et ambiance de western halluciné.
Le film s’ouvre sur un panneau laconique déclarant que « la chute » a eu lieu dix ans plus tôt. Nous sommes en Australie. Eric (Guy Pearce) rentre dans une bicoque insalubre, et se sert un verre d’eau. À tombeau ouvert, arrivent alors trois compères qui après avoir endommagé leur voiture, volent celle d’Eric. Celui-ci se lance à leur poursuite, et sur la route, il croise Reynolds (Robert Pattinson), un quatrième complice qui a été blessé, et erre, tout aussi seul.
Nous ne savons pas de quelle chute, il peut bien s’agir. Au vu du climat d’apocalypse se déroulant sous nos yeux, on devine une catastrophe économique ou bien écologique. Peu importe, notre personnage principal évolue dans un monde en décrépitude, ravagé, où la pauvreté et le système D sont devenus la norme. Perdu dans l’immensité du bush australien, les survivants occupent des maisons délabrés et vendent du matériel de récupération. Ici, et là, parmi les presque-mort, réside des noyaux d’humanité, de petites communautés soudées dans l’adversité. Les relations sociales semblent respecter des codes, les transactions se passent globalement bien, mais la violence est toujours là, tapie dans l’ombre, et prête à exploser.
La musique dodécaphonique, insistant sur des percussions primitives, donne le tempo à ce rythme soutenu de tensions croissantes. À peine sa voiture volée, Eric se lance à sa poursuite. On comprend qu’il veuille récupérer son bien mais la détermination qui l’anime est telle que l’on finit vite par s’en étonner. On n’en vient presque à s’interroger sur le titre du film, mais la voiture n’est pas une Land Rover. Courir ainsi après une voiture, y mettre tant de haine et de rage, illustre la déshumanisation à l’œuvre en cet homme taciturne, cachant de lourd secret, alors même qu’il n’y a plus rien à cacher. Il n’y a plus rien à cacher car rien n’est puni, il n’y a plus d’État, plus de loi. Dans sa quête de rédemption, Eric poursuit ses méfaits avec une subjectivité qui ne le fait pas rentrer dans nos cœurs. Alors qu’il épargne une mère maquerelle vendant son petit fils au plus offrant, il abat sans ménagement un nain qui ne veut pas baisser le prix de son arme. Alors même que cette solution ne s’impose pas et qu’elle rentre en contradiction avec l’importance qu’il donne au souvenir des morts, et à leur sépulture.
Le voilà, qui s’entiche peu à peu de Reynolds, un simple d’esprit facilement manipulable mais qui garde, au-delà de sa faiblesse, une foi certaine. Eric va le transformer peu à peu, et le rendre à l’image de ce monde désolé, dénué de compassion. Les remords qui tourmentent ces deux vagabonds errants prennent de moins en moins de place dans leur psyché. Au détour d’une conversation, Eric regrette de n’avoir jamais été condamné, l’absence de jugement le laissant seul face à ses actes. Avec une ironie certaine, un fait revient souvent dans le film : l’argent reste omniprésent, et malgré l’effondrement de nos sociétés, les marchands de fortunes réclament des dollars américains. Comme si la prégnance de la croyance mortifère en l’argent-roi demeurerait, même dans l’anarchie la plus totale. Seule une médecin, vivant à l’écart, a débarrassé sa vie de cette emprise malsaine. L’on ne sait pas de quoi elle vit, cependant, sûrement un retour à la terre, et un peu de troc. Dans un tel monde, l’obsession de posséder des dollars est simplement surréaliste.
Dans un univers de prime abord assez sobre, The Rover diffuse par petites tâches, le mal qui le ronge. Au bord de la route, on croise des hommes crucifié, comme des rappels de la souffrance christique qui semble avoir envahi le monde. Comme on peut s’y attendre, des firmes, travaillant de façon bureaucratique, emploient des milices chargées de se procurer des esclaves pour les mines australiennes. Un des miliciens remplit une fiche de renseignement comme s’il était encore nécessaire de ficher les événements. De la main d’œuvre gratuite, n’est-ce pas le but qu’il poursuivait déjà avant le crise ? On croise également dans The Rover de multiples références, la plus flagrante étant certainement la première scène, où d’un calme olympien, Eric suit les voleurs de voiture. Très peu bavard, les rattrapant tout en les laissant s’échapper, Eric rappelle le chauffeur anonyme du Duel de Steven Spielberg. De même, certaines scènes comme l’assaut de la maison de la doctoresse rappelle le meilleur du cinéma de Sergio Leone. Nul besoin de jouer dans la surenchère d’action testostéronée pour faire monter la tension, le regard transperçant de Guy Pearce, et l’incrédulité hagarde de Robert Pattinson suffisent, comme en leur temps Clint Eastwood ou Lee Van Cleef savaient le faire.
Écrit, et réalisé sur du papier à musique, The Rover fait honneur au deux genres dont il est issu, le western et la science-fiction dystopique, le tout mâtiné d’un aspect coup de cœur, la relève de Mad Max réactualise l’idée d’un monde apocalyptique sans apocalypse dénoncé comme la suite logique d’une certaine décadence consumériste. Seule la fin, inattendue, redonne un peu d’humanité à notre héros, et par là-même, nous redonne un peu d’espoir.
Venez lire nos autres critiques sur Une Graine dans Un Pot :