Le vétéran Bellochio (73 ans) livre là une oeuvre absolument magnifique. On ne pourra que regretter, après le même sort fait en 2009 par le jury cannois à l'excellent "Vincere", que celui de la dernière Mostra l'ait négligée. Scénario remarquablement construit en triptyque (l'histoire de Maria, qui a perdu sa mère, "endormie" ; celle de Rosa, Belle au bois dormant sous respirateur dans une maison-reposoir et veillée par la sienne ; celle de Rossa, suicidaire et "endormie" de circonstance), les volets 1 et 3 pouvant se refermer sur le 2, comme l'oeuvre picturale, Rosa prenant le relais d'Eluana (Englaro), Arlésienne ayant existé et dont le film utilise les derniers jours en fil rouge (février 2008 - affaire politico-médiatico-spirituelle de premier plan dans la péninsule). L'athée revendiqué Bellochio réussit pourtant un récit à 3 voix que l'on peut aussi lire très "catholiquement", autour d'une défense et illustration des vertus théologales : Foi de Maria, Espérance de la mère de Rosa, Charité dont Rossa sera entourée. Mais les grilles de lecture sont multiples, et on peut préférer la profane évidence : légitimité ou non de l'euthanasie, grâce et force de l'amour humain sous toutes ses formes (maternel, filial, conjugal - et même fraternel dans le cas de Roberto), lutte du spirituel et du temporel (et dévoiements de l'un et l'autre - féroce critique des dérives partisanes et compromissions de la classe politique par exemple, ou prêtre faisant un pari d'argent sur le moment où Eluana va mourir).... Les personnages sont mieux que des silhouettes à l'appui d'une charge, ou illustrant un propos - chacun existe dans sa complexité, avec des images subtilement symboliques (hallucinante vision de sénateurs cacochymes dans un bain de vapeur très Rome décadente) et un souci du détail remarquable (ainsi de celui incarné par Isabelle Huppert, mère de Rosa, grande comédienne d'origine française s'évertuant à l'ascèse des grandes mystiques dans une maison envahie de roses blanches, elle qui fut une "Dame aux Camélias" bouleversante - extrait du film de Bolognini en illustration). C'est beau, intelligent, passionnant (gageure tenue sur un sujet central pourtant très ardu a priori), et la distribution est de grande qualité (pour ne citer que quelques noms : Toni Servillo, le père sénateur de Maria, Maya Sansa en flamboyante et douloureuse "Rouge" - Rossa, et même le propre fils du metteur en scène, Pier Giorgio Bellochio, le "pâle" - Pallido, urgentiste et sauveur). Un très grand moment d'un grand maître à (re)découvrir.