De La Planète des Singes : Les Origines étaient sorties pas mal de bonnes choses, mais la meilleure restera sans doute le personnage de César, singe vu comme vitrine de l’humanité et qui faisait passer le message sur le besoin de la liberté comme nécessaire à l’obtention de cette condition d’homme avec une force indéniable. Trois ans plus tard, c’est au tour de Matt Reeves (responsable du beaucoup plus malin qu’il n’y parait Cloverfield) de mener cette épopée simiesque. Et si les plus bornés clameront que c’était mieux avant (les prothèses en plastique, surement) c’est qu’ils passent sans doute à côté de cette retranscription satirique de l’homme qui donne toute sa substance à La Planète des Singes : L’affrontement. Et ici, l’homme, c’est le singe. En effet le film poursuit la volonté de donner des qualités humaines aux singes, pour rappeler que nous sommes avant tout des animaux, mais surtout pour représenter l’homme à travers les singes, dont l’apparence physique n’est que l’unique frontière les séparant des vrais humains. Nous retrouvons également cette solidarité entre les singes, mise en scène avec brio à travers des séquences assez longue (notamment lors d’une scène de chasse à couper le souffle) ne faisant que renforcer le point de vue qu’essaye d’adopter le film dans son premier acte, celui des singes. Il est d’autant plus intéressant de noter que le rapprochement entre l’homme et le singe est effectué au niveau scénaristique par un nombre croissant de scènes mêlant primates et humains. Dès lors la confusion entre humain et animal ne fait qu’appuyer cette dualité de l’homme. La complexité de l’être humain devient alors un axe primordial du décuplement de la portée du discours qu’offre le long-métrage. Ce dernier se transforme quelque part en illustration de la nature cycliquement belliqueuse de l’homme, très bien mise en valeur par un scénario qui sait donner des moments frappants. Rick Jaffa, Amanda Silver et Mark Bomback ont su trouver cet équilibre entre humains et singes. A l’image du film précédent, l’humanité est en stagnation, condamnée à survivre, alors que les singes continuent leur évolution, embrassant leur humanité. Ainsi la richesse de propos social du film intervient de par les deux camps, laissant entrevoir une humanité complexe tant à travers les singes (Koba, joué par un Toby Kebbell en forme) que les humains (Dreyfus, Gary Oldman, second couteau en or). Elle demeure donc bien là, la force de cette version de la planète des singes, livrer une satire de l’humanité poignante, s’immiscer dans la force et la faiblesse de l’homme, le décrire de façon neutre pour mieux avancer la vérité de son message. A mesure, chaque décision des personnages sera vue comme une preuve d’humanité, car le côté animal a été abandonné depuis longtemps, les animaux, eux, ne se faisant pas la guerre. Une guerre d’autant plus saisissante qu’elle est filmée avec puissance par un Matt Reeves jamais à cours d’inspiration. Ne cédant pas au surdécoupage, il inscrit ses plans dans la durée, leur confère un sens du détail bienvenu et film le reste avec une habileté impressionnante. Il est de plus aidé par Michael Giacchino qui succède à Patrick Doyle. Le compositeur livre, entre quelque hommage à Ligeti, des morceaux aux élans de noirceur parfois joué uniquement au piano qui ne sont pas sans rappeler la bande originale du Transperceneige. Il arrive également à dégager cette vigueur à travers des notes lourdes et confère ainsi de la robustesse à l’image. Pourtant c’est lorsqu’il se fait moins grandiloquent que sa musique s’aligne parfaitement avec le film usant par exemple d’un morceau légèrement pianoté lors d’une scène d’action monstrueuse ou lorsqu’il laisse le film se terminer sur des violons fracassants de virtuosité. Toutefois, c’est lors des scènes d’opposition que l’atmosphère belliqueuse est sublimé par la grâce folle qui se retrouve dans les séquences longues, les ralentis, les absences de son qui laissent Michael Giacchino étaler son inspiration, et certains jeux de lumière foudroyant de symbolisme, inscrivant cette essence guerrière de manière extrêmement immersive. Ce volet parle bien d’un affrontement, le combat de l’homme contre lui-même, prêt à se sacrifier pour gagner, permettant par-là d’évoquer avec impact toute la contradiction d’une humanité au bord de l’extinction et aux velléités toujours barbares. C’est presque un aveu de la nature autodestructrice de l’homme qu’on nous livre. Heureusement, les scénaristes s’attardent, avec encore plus de maitrise et de force que l’opposition, sur cette union quasi-fraternelle entre Malcolm et César. Se muant en conte philosophique sur la considération d’autrui, elle pose un pamphlet touchant, une déclaration d’humanité encore plus profonde que dans Les Origines. L’interprétation de Jason Clarke provoque alors une empathie envers son personnage, émissaire d’une espèce et facette du côté bon de l’homme, dont le dernier plan aura une valeur symbolique d’un pessimisme désarmant. Et c’est sans conteste César qui ancre cette suite dans un élan grandiose. Incarné par un Andy Serkis au charisme royal, d’un regard percutant et à la posture dominatrice, il porte littéralement les enjeux de cette aventure. Sage, avisé, il emporte le spectateur avec lui pour mieux transmettre les choix auxquels il est confronté. C’est à travers lui que la compréhension de l’humain se fait. Ce dernier découvre alors l’homme et par conséquent, ses semblables, se retrouvant désillusionné à mesure que cette mauvaise humanité (simiesque et humaine) le heurte. Les scènes mettant en avant sa prise de conscience s’avèrent plus frappante, s’introduisant même dans une mélancolie fatale, symbole de l’impossibilité de changer l’homme. Là où le film fait fort, c’est qu’il continue de considérer César comme un homme, donnant une dimension humaine plus forte lors de scènes clés, notamment une, empreinte d’une nostalgie touchante, suggérant que César regrette son ancienne vie. Enfin, tout cela rend la conclusion davantage détonante puisqu’elle montre avec une tristesse indicible tout le désarroi qui s’empare de ce dernier alors qu’il vient de saisir la nature humaine. A l’image d’un Platon désœuvré devant ce que ses semblables ont fait à Socrate, César est désabusé par ce qu’il vient de vivre et doit supporter la responsabilité énorme (responsabilité étant vue comme gage d’humanité, et mise en valeur par des dialogues profonds) qu’est la survie de son espèce, car la guerre ne fait que commencer…à moins qu’elle ne se soit jamais terminée.