Si j’ai regardé le premier volet du reboot avec l’œil d’un spectateur juste décidé à se divertir (ce qui fut bien réussi), je suis par contre allé voir celui-ci avec l’œil critique que j’avais développé entre-temps et ma passion nouvelle pour la saga d’origine. ET CE FILM EST GÉNIAL. C’est sans conteste l’un des meilleurs films jamais réalisés. Vendu comme un blockbuster d’action, il est bien plus que cela : dans la digne continuité de ses prédécesseurs, il nous pose de vraies bases pour les grandes réflexions sur l’homme, le singe, l’espèce dominante et la guerre. Tous les personnages représentent une facette de ces grandes questions, tous ont leur mot à dire et font progresser la réflexion. Moi qui aime beaucoup, mais alors beaucoup, la saga d’origine, j’estime que ce film et son prédécesseur sont de dignes hommages à ce pilier de la science-fiction. Il a les mêmes enjeux, les mêmes pistes de réflexion, sauf qu’elles sont exploitées différemment voire approfondies, et d’autres messages s’y ajoutent pour les renforcer. Et parmi les bases de ces réflexions : Koba.
Le personnage de Koba est l’un des meilleurs que j’ai vus dans un film, et mon préféré de toute la saga. Il est extrêmement bien travaillé, il est zéro défaut dans son développement. Outre son apparence déjà marquante (même sans connaître son nom et sans le voir beaucoup dans le premier il m’avait marqué à cause de ça), il a une personnalité très riche. Il hait les humains parce que ceux-ci l’ont torturé des années en laboratoire pour leurs expériences. Son corps est marqué de nombreuses cicatrices qu’il tient pour preuves du mal que les humains sont capables de faire mais, comme César le dit à Maurice, il n’a vu que les mauvais côtés des humains, alors que lui a vu le bon en eux grâce à Will. Koba se laisse donc aveugler par sa haine, jusqu’à considérer César comme un traitre à leur espèce et tout faire pour désobéir à ses ordres et déclencher la guerre. Il se présente donc en libérateur pour les singes mais
par après tous ceux qui refusent d’obéir sont tués comme Ash ou enfermés comme Maurice et Rocket, les deux premiers singes à avoir reconnu César comme leur chef et ami (Rocket est d’ailleurs plus discret que dans le premier film mais devient plus attachant malgré tout).
Ainsi, de libérateur il passe à tyran et domine les singes par la peur, leur inculquant la haine des humains alors que César les dominait par amour et leur enseignait simplement à vivre en paix. Il ne connaît que la force, et non la communication, la réflexion, et tout cela est dû à ce qu’il a subi et qui l’a rendu fou. D’ailleurs, sa folie est clairement montrée lors de l’assaut de la colonie lorsqu’il charge seul, armé de deux fusils, galopant à travers les flammes et hurlant comme un dément sous le regard médusé des singes battant en retraite. Et son final est juste hallucinant, j'étais crispé dans mon fauteuil, la gorge sèche et incapable de bouger. Un personnage qui ne m'a donc absolument pas déçu et qui vaut le visionnage du film à lui tout seul.
Un mot sur Yeux Bleus, le fils de César : il est très attachant. Ce n’est pas un personnage unilatéral comme on en voit beaucoup, il a une personnalité riche déjà travaillée dès la scène d’ouverture du film où il chasse et est sauvé par son père et par Koba. Il représente bien la nouvelle génération, la jeunesse qui veut faire ses preuves et, lorsqu’on lui fait la leçon, se renferme. Outre cet aspect de sa personnalité, il est facilement manipulé par Koba car son ami Ash s’est fait blesser par un humain, mais il a encore assez de lucidité pour comprendre que celui-ci va les mener à leur perte, et donc il s’en détourne et libère ses congénères, devenant la digne réplique de son père. Son passage symbolique vers l’âge adulte est grandiose et peut faire écho à César qui, dans le film précédent, devait aussi passer de l’enfance oisive chez Will à l’âge adulte où il prend conscience des tourments des singes et les libère. Le père et le fils sont attachants en ce sens qu’ils prennent conscience au fur et à mesure du monde qui les entoure, jusqu’à devenir adultes. De même, les réflexions de César dans le film rejoignent celles de son fils et complètent son raisonnement du premier volet.
Un petit mot également sur Gary Oldman et son personnage, Dreyfus. J’ignore s’il y a un sens caché à ce nom mais j’apprécie beaucoup le personnage, son passé, sa pensée et ses objectifs. Il peut être vu comme la caricature du chef méchant malgré lui (de même que Jacobs dans le film précédent représentait la caricature du patron faisant tout par profit) mais personnellement je ne l’ai pas du tout vu comme ça. Il a perdu sa famille à cause du virus et les survivants en ont fait leur chef parce qu’il voulait tout faire pour éviter que ça se reproduise, pour sauver la race humaine. Il n’est pas stupide mais la douleur de sa perte fait qu’il refuse de voir la vérité en face, il veut un responsable à ses malheurs et désigne les singes. Même si le personnage est plus discret dans le film que je l’aurais pensé, je l’ai bien apprécié et je le trouve très bien travaillé. Et aussi, un détail qui fait que je l’apprécie (et je ne doute pas que vous l’aurez compris) : J’adoooore Gary Oldman.
J’ai trouvé intéressant les clins d’œil faits à la saga d’origine, à commencer par le nom du fils de César : Yeux Bleus (Bright Eyes en version originale). Ceux qui ont vu le tout premier film l’auront compris : c’est le surnom donné à Taylor par Zira en raison de sa différence physique avec les autres humains. C’est un clin d’œil assez discret mais que j’aime bien. De même, pour parler des hommages, la musique composée ici par Michael Giacchino ressemble fort, du moins à certains moments, à la musique composée par Jerry Goldsmith pour le premier film, et avec ça s’adapte très bien au moment, de même que le reste de sa composition qui fait frissonner lors des scènes d’action ou d’intense émotion. Mais pour en revenir aux clins d’œil, j’ai grandement apprécié ce qui me semble être un clin d’œil inversé. Attention, on rentre dans une grosse zone à spoilers concernant une scène en particulier :
l’orang-outan Maurice qui apprend de l’humain Alexander à lire un livre. Car dans les deux premiers films, les orangs-outans sont les détenteurs de la vérité, l’élite des intellectuels et professeurs de la religion. Et ils méprisent les humains qu’ils considèrent comme la race inférieure, celle qui décime ses semblables, celle qui a causé sa propre destruction. Les orangs-outans s’estiment donc meilleurs, et en les regardant de près on voit que ce sont des êtres têtus qui refusent d’entendre raison. Et là, on nous met un orang-outan totalement différent. Certes, le clin d’œil veut qu’il soit le sage de la tribu et un professeur pour les jeunes singes (comme montré au début du film), mais il est bien différent dans son fond. Comme il le dit lui-même à César, il ne connaît pas les humains aussi bien que lui et lui fait confiance en ce qui les concerne. Et puis vient la scène où il approche Alexander, le fils de Malcolm. Déjà avant cela, on sent qu’un rapprochement va s’opérer grâce à Maurice car on le voit justement feuilleter le cahier à dessin de l’adolescent. Moment qui laisse présager une possible entente entre eux et qui est confirmée lorsque Maurice le défend face à Koba lorsqu’ils réparent le barrage. Et en remerciement de cela Alexander lui offre un livre, et lui apprend à le lire. C’est là tout le paradoxe par rapport aux orangs-outans d’origine : Maurice a un a priori sur les humains mais ne reste pas bêtement fixé dans ses convictions, il s’interroge sur la nature humaine et, finissant par comprendre qu’ils peuvent être bons, il accepte de se faire éduquer par un humain.
C’est quand même quelque chose d’exceptionnel, de puissant, et certainement une des meilleures scènes, sinon la meilleure, de tout le film. Et un dernier clin d’œil qui est une excellente illustration des thèmes majeurs de la saga d’origine : le discours de César à son fils lorsqu’il est allongé dans le canapé de son ancienne maison. Il lui dit que tout est sa faute car il pensait que tous les singes étaient des frères, et donc meilleurs que les humains, mais Koba lui a donné la preuve du contraire : en fait, leurs deux espèces sont pareilles. C’était déjà grandement évoqué avec l’ancienne saga, mais c’est encore mieux schématisé ici. L’être humain est mauvais, responsable de sa propre destruction (ici causée par l’ALZ-112) et les singes, en pensant être meilleurs qu’eux, ne font que reproduire leurs erreurs. Ça montre bien qu’ils sont pareils, qu’aucun n’est meilleur que l’autre, et comprendre ça comme le fait César est un premier pas vers la paix, et ça nous offre en plus une scène de grande émotion entre le père et le fils.
De même,
commencer le film par un gros plan de César avec peintures de guerre, l’air méchant, et le terminer sur un gros plan de lui calme et apaisé,
c’est génial. Ça symbolise très bien son changement d’opinion vis-à-vis de l’espèce humaine. Au début du film, il est méfiant envers eux, il les trouve encore mauvais. Et puis surviennent toutes ces péripéties, sa rencontre avec Malcolm, ses différends avec Koba, la guerre qui éclate et son combat final contre son ancien frère. Toutes les réflexions découlant de ces événements lui font comprendre que les humains ne sont pas fondamentalement mauvais, et il termine en paix avec eux, même s’il sait qu’une guerre se prépare. C’est une mise en scène qui parait légère, et un spectateur distrait ne l’aura sans doute même pas remarqué, mais je la trouve lourde de sens et je l’apprécie beaucoup.
Outre l’histoire du film, son fond (oui je sais, je n’ai parlé que de ça jusqu’ici), la forme est correcte, plus que correcte. Je l’ai vu en 3D, j’ignore si c’est mieux sans, mais j’ai trouvé le film très beau. Les singes ont l’air tellement vrais, et tellement humains (marrant ça rejoint le fait qu’ils sont pareils que les humains et font les mêmes erreurs). Aussi, le film est à 80% sous-titré car les singes communiquent avec le langage des signes. Les plus fainéants trouveront bien le moyen de le critiquer, mais moi ça ne m’a pas du tout empêché de savourer les discussions et leur contexte. Et je terminerai sur les scènes d’action qui sont juste exceptionnelles. Rapides et brutales, à l’image des singes pleins de haine envers la race humaine, dosées avec soin. Le film s’est vendu comme un blockbuster d’été bourré d’action, pourtant l’action ne représente que 45% du film (à peu près). Car justement cet opus-ci est centré sur le dialogue et les tentatives de rapprochement afin d’éviter la guerre, alors que le troisième (car je doute qu'on ne nous sorte pas un troisième après un tel succès) sera quant à lui centré sur la guerre qu’on n’aura pas su éviter. On a vraiment ce qu’il faut d’action, ni trop ni trop peu, le dosage parfait, et des images et des scènes sublimes pour appuyer le message du film.
Mais je ne vais pas jouer les hypocrites, ce film n'est pas parfait. En effet, certains commentaires ont soulevé les questions suivantes : pourquoi les singes ne recherchent pas le corps de César avant d'attaquer? Comment est-il seulement possible que Malcolm tombe comme par hasard sur le corps de César alors qu'il est censé fuir? Comment, au milieu de bâtiments remplis de singes, n'est découvert que par Yeux Bleus? Oui, effectivement, ce sont là de gros défauts de narration mais, une fois qu'on les oublie, le reste n'est que pure merveille.
Il y a des tonnes et des tonnes de scènes qui m'ont marqué et délivrent des messages exceptionnels sur l'homme et le dialogue, mais je ne pourrais en parler sans les spoiler. Donc, en conclusion de tout cela : beaucoup de scènes d’action dantesques, d’autres scènes plus soft mais tout aussi intenses par le message qu’elles véhiculent. Ceux qui veulent se détendre devant un film d’action peuvent y trouver leur bonheur, ceux qui veulent des films intelligents ont de quoi se creuser les méninges, et ceux qui sont juste fans de La Planète des Singes peuvent y trouver leur bonheur. En tout cas, en ce qui me concerne, je me suis bien distrait et j'ai eu les réflexions que je voulais, donc c'est du tout bon.