Après le raz-de-marée "Skyfall", la saga James Bond était, plus que jamais dans son histoire, attendue au tournant. Il était, dès lors, prévisible que "Spectre" déçoive un peu, tant les attentes du public paraissaient insurmontables. Et si, sans surprise, cette 24e mission est moins "atypique" que l’opus précédent, il n’en demeure pas moins que certains défauts auraient pu être aisément évités ! La reprise en main de la série depuis le chef d’œuvre "Casino Royale" semblait, pourtant, interdire certains dérapages du passé mais "Spectre" confirme le léger retour en arrière de "Skyfall" (qui voyait, entre autres choses, le retour d’un M masculin dans ses anciens bureaux, de Q et de Moneypenny) et a même tendance, par moment, à cumuler les hommages visuels aux vieux films… au risque de faire perdre à la saga la formidable modernité des derniers films et avec un traitement moins crédible. On retrouve, donc,
l’affrontement dans un train (comme dans "Bons baisers de Russie", "Vivre et laisser mourir", "L’espion qui m’aimait"…) où Bond et son adversaire dégomment tout sans que cela ne provoque la moindre réaction du personnel, une séance de torture (comme dans "Goldfinger", "Casino Royale"…) dont la sophistication désamorce toute tension, un repaire perdu au sommet d’une montagne (comme dans "Au service secret de sa Majesté"), un "Je t’aime" susurré par la belle du héros qui fait un peu tâche ou encore l'homme de main increvable que Bond ne prend pas la peine d’achever alors qu’il est inconscient
. Certes, il s’agit, pour l’essentiel, de détails mais ils s’avèrent très révélateurs de l’état d’esprit de Sam Mendes (qui rempile, après "Skyfall") qui semble soucieux de s’intéresser à la psychologie de son héros… en regardant dans le rétroviseur et, plus particulièrement, dans l’époque Roger Moore. Et j’admets que j’aurais pu me montrer peu regardant sur ses défauts (qu’on peu considérer comme des codes désuets mais sympathiques) si le scénario avait été un peu plus surprenant. Car le principal problème de "Spectre", à mon sens, c’est le caractère très prévisible de son intrigue qui ne parvient jamais à prendre le spectateur à rebrousse-poil. Du personnage monochromatique de C (Andrew Scott, parfait en tête à claques) à l’évidente place que prendront
les ruines du MI6 dans l’intrigue (pourquoi évoquer les explosifs en début de film si ce n’est pour préparer la séquence finale ?)
en passant par l
a révélation de l’identité du grand méchant (très largement éventée par des indices criants par les fans et finalement balancée sans grande tension)
, difficile de trouver trace d’un twist scénaristique vraiment digne de ce nom. "Spectre" parvient pourtant à faire illusion pendant la première moitié du film, qui parvient à distiller une tension et un mystère intéressant
(pourquoi Bond ne fait pas confiance à M ? Qui tire les ficelles de l’organisation Spectre ? Quel lien avec les trois films précédents ?)
tout en retrouvant un ton très drôle qu’on craignait disparu (la première discussion entre Bond et Q ravira les fans). Le film s’ouvre, de plus, sur un incroyable plan-séquence et un superbe générique (Sam Smith et son crépusculaire "Writing’s on the wall"), suivis de nombreuses séquences d’une beauté visuelle époustouflante (la photographie est très réussie), rappelant qu’on a bien un auteur aux manettes. On retiendra, ainsi,
la tentative de meurtre de la veuve Sciarra dans sa villa (révélant peu à peu les tueurs sur un air d’opéra), la réunion du Spectre (tout en tension et en jeux d’ombre) ou encore le découverte du repaire de M. White (tout droit sorti du film d’horreur gothique)
. C’est, malheureusement, à mi-parcours que les choses se gâtent un peu, en raison du caractère prévisible du scénario, donc, mais également, d’un méchant (Christoph Waltz bien à défaut d’être impressionnant) qui aurait mérité un traitement plus approprié. Difficile, en effet, de comprendre les motivations de ce Franz Oberhauser et, surtout, difficile de percer de se passionner pour un personnage aussi peu présent dans un premier temps et, une fois encore,
aussi peu mystérieux pour tout bondophile qui se respecte
. Conformément au film, ce personnage vaut davantage pour
les clins d’œil appuyés faits aux fans (le col mao, le chat, la balafre…) et c’est bien dommage tant la Némésis de Bond aurait mérité d’être mieux exploité.
D’ailleurs, son
rattachement aux trois premiers films
ressemble davantage à une idée de dernière minute artificiellement mise en place qu’à un plan savamment pensé dès "Casino Royale"… Maintenant, il faut bien être honnête : si je suis aussi difficile avec "Spectre", c’est parce que c’est un "James Bond" et qu’il fait partie intégrante d’une des périodes les plus enthousiasmantes de la saga. Et il serait injuste de ne pas reconnaître les très nombreuses qualités du film (qu'on apprécie plus facilement à la deuxième vision), à commencer par des cascades terriblement funs, une scène de baston formidablement âpre et un casting sans fausse note, avec une Lea Seydoux qui s’en sort très bien (sans faire oublier, pour autant, Eva Green), Ralph Fiennes en M des plus actif, Ben Wishaw qui voit son rôle de Q s’étoffer tout comme Naomie Harris en Moneypenny, Monica Bellucci qui campe la première James bond Girl plus âgée que Bond ou encore Jesper Christensen s’offre un retour décrépi impressionnant. Quant à Daniel Craig, il est toujours aussi parfait en Bond plus physique et fatigué que ses prédécesseurs et confirme qu’il est tout aussi à l’aise avec le personnage lorsqu’il doit faire preuve de plus de légèreté
(ah le "non, sage !" gentiment conseillé à un vigile trop ambitieux)
. Ainsi, malgré ses défauts, le film reste une vraie réussite, certes moins original dans sa forme mais qui marque le retour à une certaine norme qui, finalement, fait du bien. Je me demande même si je ne le préfère pas à "Skyfall", qui était plus inégal et froid. Pour autant, je reste un adorateur de "Casino Royale", qui ressemble, de plus en plus, à une référence indépassable…