Il y a quelque chose de magnifique dans l'idée que les cœurs brisés puissent apporter un supplément d'âme à ce qui les entoure.
Ça a rarement été aussi qu'avec Theodore, écrivain public spécialisés dans les déclarations d'amour, alors qu'il est lui-même en peine dans ce domaine. Récemment séparé, irrésolu devant l'idée de signer les papiers du divorce, il déambule dans un Los Angeles impersonnel mais tendre. Comme si l'acier et les écrans saturant l'environnement ne pouvait contenir la chaleur et les sentiments de son résident transi.
Pour moi, compliqué d'établir si Her est utopique ou dystopique. Bien sûr, la vision futuriste tend à inquiéter dans le rapport excessif de l'homme avec l'outil numérique. Cela dit, Spike Jonze a l'intelligence de retourner le constat habituel en conférant à la machine une évolution rendue possible grâce à Theodore, tandis que ce dernier semble caler dès que l'occasion se présente.
La technologie ne devient plus le cœur du problème, mais l'utilisation qui en est faite (nous emprisonne t-elle ou nous emprisonnons-nous en elle ?).
Par ce biais, S. Jonze questionne l'âme sœur telle qu'on la conçoit. Une oreille attentive, une voix qui rassure, un esprit qui inspire, un corps qui séduit, ou simplement une main à laquelle on s'accroche pour ne pas rester au sol ? De la même façon qu'une IA peut remplir différentes fonctions pour pallier différents manques à un instant T. Et qu'une dépression est parfois un état qu'on ne veut pas quitter de risque de voir ses repères troublés.
Le film avance, et avec lui ces nouvelles frontières que Theodore a bâti sans le réaliser. Comme nous tous. Devant le risque de devenir un jour l'intermédiaire d'une machine et de voir l'illusion nous cloisonner hors de la réalité. Ce qui donne lieu à une séquence (incroyable) simultanément sexy et gênante, où le corps devient l'outil et l'IA apporte l'illusion sentimentale.
Une seule séquence, pas un discours assénés lourdement. Et le film s'envole bien au delà de ce qu'on était en droit d'attendre. Beau comme un flirt, rude comme une séparation, Her est un véritable ascenseur émotionnel. Peut-être le plus beau film d'amour que j'aie pu voir depuis Eternal Sunshine of the Spotless Mind dans le genre insolite.
Aussi inventif derrière la caméra qu'au stylo, Spike Jonze redonne des couleurs à un genre trop souvent engourdis par les mises en scène banales. La photographie de Hoyte Van Hoytema s'applique avec douceur, instillant espoir et mélancolie sur le même photogramme.
Mais tout cela est aussi rendu possible grâce à la prestation d'un Joaquin Phoenix plus juste que jamais. Jamais dans la performance, sa performance, délestée de tout effet de manche, terrasse par sa simplicité. En face, ou plutôt de l'autre côté du micro, Scarlett Johansson livre une incarnation vocale qui ne manque pas de présence, bien au contraire.
On peut dire que Spike Jonze a su entourer J Phoenix, avec les resplendissantes Amy Adams, Rooney Mara et Olivia Wilde, toutes trois offre une grande fraicheur à Her (qui n'en manque décidément pas).
Une grande histoire d'amour, palpitante pour les cœurs et étourdissante pour les yeux. Belle, drôle, subtile et ingénieuse. Bien assez pour se laisser emporter.