Qui aurait cru que Spike Jonze, producteur de la série et des films Jackass, allait avoir une notoriété hors du commun avec seulement trois films à son actif (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation, Max et les Maximonstres) en 10 ans de métier ? Personne, cela ne fait pas l’ombre d’un doute ! Alors, quand arrive sa quatrième réalisation, c’est l’enthousiasme à coup sûr ! D’autant plus que Her vient tout juste de recevoir l’Oscar du Meilleur scénario original, ce qui offre bien plus d’envergure au film. Qui avait déjà de quoi faire avec Joaquin Phoenix en tête d’affiche et la participation vocale de Scarlett Johansson. Alors, nouveau grand film ou mauvaise promotion de la part des Oscars 2014 ?
Une chose est sûre : Her ne plaira pas à tout le monde ! Etant donné que le film est vendu comme une histoire d’amour, avec sur le devant de la scène un homme mal dans sa peau depuis qu’il a rompu avec sa petite amie. Beaucoup seront alors étonnés de voir que le long-métrage flirte avec la science-fiction (l’anticipation, plus exactement). Où notre personnage principal vit dans une société qui n’est régie que par la communication virtuelle, à distance. Et qui va retrouver l’amour via l’utilisation quotidienne d’une application. Une intelligence artificielle qui va se révéler être la meilleure copine qu’un homme puisse avoir. Euh… oui, pourquoi pas ? Que des spectateurs soient réticents à ce genre de film est compréhensible. Mais franchement, devant un tel postulat, la curiosité ne peut que l’emporter ! Et elle va se montrer payante, Her étant un film travaillé à la perfection !
Her se montre comme l’excellence en matière de film d’amour ! Le personnage étant séduit par une intelligence artificielle, cela peut paraître débile aux premiers abords. Mais en y regardant de plus près, cela se présente comme une métaphore au véritable amour. Celui qui met de côté l’attirance physique (la « voix » n’ayant évidemment aucun corps), superficielle, pour préférer la séduction par l’esprit, les goûts, le caractère… Tout ce qui fait qu’un homme et une femme puissent partager des moments de complicité, s’aimer à la folie ! Cet amour empli de magnifiques répliques touchantes, belles et poétiques, qui ne sonnent jamais faux quand nous les écoutons. Voilà ce qu’est en premier lieu Her : une romance que nous aimerions, dans un sens, tous vivre avec la personne de nos rêves.
Her, c’est également le portrait d’un mec paumé. Qui essaye de se refaire depuis sa rupture avec ce qu’il semblait être la femme de sa vie. Et qui se morfond tel un solitaire en herbe. Qui se perd de plus en plus en évitant les relations sérieuses (n’étant pas prêt à vivre cela) au point de les gâcher quand l’occasion se présente (le moment où il passe la soirée avec l’amie d’un copain), et de se permettre d’aller sur des tchats cochons (et de tomber sur de véritables dérangées du fantasme improbable). Un homme qui devient encore plus pathétique quand il trouve enfin l’amour mais par le biais de cette intelligence artificielle. Qu’il atteint son idéal par le biais d’une simple illusion. Tout dans ce scénario fait en sorte de rendre ce personnage à la fois fort attachant et pitoyable, qui demande qu’on ait pitié de lui.
Et cela, Joaquin Phoenix le fait avec un naturel déconcertant, livrant au film de par son jeu d’acteur un air de documentaire (donnant l’impression qu’il ne joue pas, mais plutôt qu’il a été suivi au quotidien par le réalisateur). Tout dans sa prestation renforce son personnage, nous faisant chavirer d’un simple sourire et d’éclats lumineux dans ses yeux. Nous rendant triste à chacune de ses déprimes. Nous rendant heureux à chacun de ses moments de bonheur. Quant à Scarlett Johansson, elle tient-là le meilleur rôle de sa vie, n’usant que de sa voix tout en arrivant pourtant à imposer sa présence dans le film. Nous faisons presque croire qu’elle est sous nos yeux, matérialisée. Cet étrange couple surpasse aisément le reste du casting, peu constitué mais ayant des comédiens tout aussi fabuleux : Rooney Mara n’a jamais été aussi séduisante qu’auparavant, Amy Adams confirme qu’elle est l’actrice du moment (sortant tout juste d’American Bluff). Et Olivia Wilde arrive enfin à jouer sans trop en faire, juste ce qu’il faut !
Mais en y regardant de plus près, Her n’est pas qu’une histoire d’amour, avec un personnage savoureusement écrit. C’est aussi une description péjorative de notre société. Celle qui ne vit que pour la communication virtuelle. Qui ne fait qu’utiliser les portables et les réseaux sociaux pour parler aux gens, se renseigner, se cultiver. Qui isole chaque personne de tout contact physique (l’amour virtuelle, le rôle des intelligences artificielles appelées OS), la déboussolant quand celle-ci tente de renouer avec ce concept (le passage où Samantha – le nom de l’OS de notre héros – organise une sauterie pour son propriétaire avec une professionnelle, afin de simuler leur chaleureux ébats). Qui fait que tout ne soit que faux-semblant et non réalité (notre héros travaillant dans une boîte qui « tape » des lettres – d’anniversaire, de mariage, de voyage – commandées par des clients, pour les envoyer aux personnes demandées). Bref, une vision de notre société qui fait plutôt froid dans le dos !
Et comment Spike Jonze arrive-t-il à tous ces constats ? Par le talent de sa mise en scène, tout simplement ! En suivant de près Joaquin Phoenix, qu’il filme sans arrêt et de près. Sans aller jusqu’à utiliser des effets de style qui se seraient montrés inutiles. Par des jeux de lumière qui renforcent chaque sentiment éprouvé par le personnage, et qui mettent en valeur des décors plutôt glacials et sobres (augmentant cette sensation de peur que nous laisse cette vision d’anticipation, et ce via un modeste budget !). Par la musique poétique du groupe Arcade Fire. Par cet humour inattendu et diablement efficace (notamment lors du tchat érotique et l’intervention jubilatoire d’un avatar de jeu vidéo) qui permet de relâcher la bride, de ne jamais nous perdre dans une surdose de romance.
Her n’est ni un nouveau grand film, ni une mauvaise promotion de la part des Oscars 2014. Mais tout bonnement un chef-d’œuvre ! Celui que l’on ne voyait pas venir. Celui qui nous propose sans doute la meilleure histoire d’amour jamais contée. Approfondie, émouvante, bouleversante, intelligente. Qui ne laisse à aucun moment de côté le travail technique magnifié par Spike Jonze, offrant à son film une ambiance hypnotique. Et tout cela par le producteur de Jackass ? Comme quoi, tout est possible ! La magie du cinéma existe bel et bien !