J'étais seul, bien seul, dans cette salle de la Maison de la Culture d'Amiens, pour voir le film-testament de Raoul Ruiz. Assez triste cette désaffection pour un cinéaste qui a toujours refusé la facilité du cinoche moderne en restant fidèle jusqu'au bout à la littérature, en mélangeant hermétisme et surréalisme, à la façon de ses modèles chiliens. mais les gens préfèrent la facilité, celle des blockbusters (dont je ne dénigre pas la fonction de simple divertissement populaire) et celle des films à message lourdingue de pseudo-auteurs en gros sabots. Raoul Ruiz, pourtant gauchiste, a eu le grand mérite de ne jamais céder à cette facilité-là, celle de faire des films moralisateurs et haineux (à ma connaissance certes limitée de son œuvre immense). Lorsqu'il laisse affleurer le débat chilien entre nationalistes et socialistes dans son dernier film, tout cela reste bon enfant : on ne se saute pas à la gorge simplement parce que l'on est adversaires. Seul un moment du film (lorsqu'un grand-père compare son fils à un nazi dans la manière d'éduquer son propre enfant - avatar de Ruiz - à coups de ceintures) laisse deviner clairement les préférences de Ruiz. Le reste est méditation sur la vie et sur son absurdité, bien que sans amertume : il manquera certes toujours à Ruiz une foi qui eût donné un sens à sa vie, mais il remplace ce sens par le jeu. Tout n'est que jeu chez Ruiz, et cela donne lieu aux meilleurs moments du film. Qui n'apparaît certes pas comme son meilleur au spectateur fatigué que j'étais l'autre soir : mais peut-être me trompé-je. Néanmoins, tous ses thèmes et obsessions semblent ici récapitulés : l'enfance, le langage, le jeu, les contes. La musique aussi est bien présente, avec le personnage presque grotesque de Beethoven, confondu par la technologie et la bande-son d'Arriagada. L’histoire du cinéma dira, plus tard, ce qu’il faut retenir de l’œuvre de Ruiz : mais une œuvre, il laisse derrière lui, sans aucun doute.