Le cinéma dans les pérégrinations de sa propre histoire évolue en cherchant des points stables, des axes de recherche, des terrains vierges sur lesquels bâtir les chemins du futur. Or c'est à l'entrée des grands tournants sans direction indicatrice comme dans le passage du muet au parlant que la parole vient à manquer, les indices se font très rares. Les défricheurs sont bannis de l'esprit du temps, c'est en se refusant aux poses obscènes des clichés ou en divorçant des idées pré-conçues que l'on se prive de la grande majorité actuelle des spectateurs stéréotypés, on ne brave pas impunément l'esprit du siècle, on ne menace pas l'argent du divertissement lorsque l'idée du nombre de places vendues se pense, pour le moment, comme un concept solide.
L'invention, la concrétion et le développement d'un nouveau genre cinématographique est un terrain vague, un paysage sans forme, une somme de routes sans repère, alors que tous sont dans des voyages soigneusement organisés, s'écoulent dans une tuyauterie structurée, en suivant les rails usés de la réitération certains inventèrent en leur temps le giallo, la nouvelle vague ou la comédie musicale.
Qui seront les précurseurs d'un nouveau genre cinématographique?
L'image est fixe, immobile, figée dans son éternité de papier glacée et même en devenant animée, générée par les automates des nouvelles technologies, produite souvent par ordinateur elle n'est, actuellement, que l'éternelle répétition de la même histoire, le retour des mêmes séquences, comme le film culte elle devient mobile dans sa première fixation crispée.
La nouvelle brèche qui s'ouvre, la faille qui s'ouvre alors dans le mur des images, la nouvelle dimension possible du langage cinématographique devient sa dimension méta-cinématographique. Un nouveau genre possible est le méta-film, le langage parle du langage, le dispositif cinématographique pourrait bien alors s'affranchir de l'histoire pour ne plus servir ses anciens maîtres devenus des moribonds, vieillards séniles hollywoodiens mais conter le code centré sur lui-même. Ne serait il pas enfin en mesure de nous révéler les abus qu'ils lui sont infligés, les affronts des utilisateurs, ne sommes nous pas tous les sombres crétins opérateurs d'une technologie avancée dans le seul but de servir nos besoins puérils, les volontés étroites d'un égoïsme misérable afin de nourrir les maigres cavernes de nos yeux, ne sommes nous pas en train de remplir l'écran vierge et immaculé des phrases les plus triviales de notre quotidienneté ( cé pas paske g dé gro sins ke je sui fille facile : Karen, 20 ans Aix en Provence).
Plusieurs solutions s'offrent à la construction d'un méta-film : bâtir et expliquer un scénario des scénarios, mettre en scène les configurations vierges du dispositif, filmer la matrice vierge d'un décor, construire un film dans un film (un meurtrier dans une école de cinéma?), promener les héros dans les genres cinématographiques existants, créer des plans-séquences sur un plan séquence, proposer les multiples interprétations possibles d'un même film ...
C'est ce dernier choix qui aura fondé "Room 237", lorsqu’un film parle, interprète, enquête sur un film, c'est déjà du méta-filmique en marche, nous sommes bien en présence d'un film sur un film, nouveauté intéressante. Chaque image, chaque son, chaque décor, le moindre des détails peut être absorbé par l'observateur curieux, la digestion mentale d'une production artistique est un phénomène étrange, mystérieux, délicat et complexe. Dès lors plus personne ne verra le même film que son voisin, personne ne se baigne dans la même eau et le partage de ce qu'on vu les uns et les autres pourrait donner naissance à l'étrange altérité. C'est bien ce qui se passe dans "Room237", tous voient un film, comme la facette unique d'un diamant dont d'autres contemplent d'autres facettes tellement différentes, si le diamant est taillé à la taille du génie alors la pluralité des mondes possibles est vertigineuse!
Toutes les interprétations proposées (dénonciation du génocide indien, destruction du mythe d'Apollo, question de l'holocauste, images subliminales, architecture impossible...) ouvrent sur de nouvelles interprétations possibles et permettent au spectateur, l'appropriation et l'assimilation nouvelle des données filmiques où chaque possible ouvre sur les nouveaux champs du possible.
On pourrait par exemple envisager "Shining" comme la vision d'un microcosme clos, comme une société d'invertébrés, d'insectes parfaitement réglés qui pour passer l'hiver entrent en diapause, ou adopte un régime larvaire, tout en plaçant un ouvrier pour réguler la température de l'habitat avec des réserves, ce pourrait être comme une colonie d'habitants dont un nouveau venu, l'enfant produit par la reine, amènerait de nouvelles mutations au sein de l'entité psychique de l'organisme collectif, un être qui menacerait les anciens individus voués à l'extinction. Sur le thème des insectes, de la colonie, de l'hibernation, des mutations au sein des alvéoles, de la chrysalide, des mues successives, de la collectivité menacée et des organes télépathes toute une soirée s'est ouverte pour revoir le film sous un jour nouveau et dans des conditions originales.
Nous sommes alors satisfait de pouvoir choisir le choix dans un message cinématographique, non plus le parcours obligé du sémiologue mais en plongeant dans la virginité filmique en suspension d'inventer une nouvelle nage dans une autre eau.
Et l'expérience du dispositif méta-filmique ne fait que commencer...
David.