Noor fait partie de la caste opprimée des Kushras. Ces eunuques issus de familles très modestes sont traditionnellement destinés à danser à l’occasion de rassemblements publics ou de mariages, mais sont aussi amenés à se prostituer pour survivre. Noor ne veut plus de tout cela, de cette vie de bête de foire. Il veut une vie normale, une femme, des enfants, un travail honorable. Hélas, aucun statut officiel n’existe pour cette caste au Pakistan, qui, contrairement au Bangladesh ou à l’Inde, n’a jamais légiféré sur ce point et n’offre pas d’opportunité de travail alternatif aux Kushras. Dans un pays en proie à des troubles confessionnels latents, il n’y a pas de place pour le troisième sexe.
En attendant des jours meilleurs, Noor officie comme homme à tout faire dans un garage où stationnent des dizaines de camions bariolés. Les couleurs et les bruits de ces trucks ultra-kitchs tranchent avec une ville ocre, morne à en pleurer, mais rien n’y fait : ce travail confine toujours Noor à une vie austère, où son statut lui est constamment rappelé. Chez lui, Noor n’a rien. Les scènes d’intérieur y sont superbement filmées, dans un décor nu, où seule l’ombre du jeune homme résonne.
Après avoir dressé un tableau résolument noir sur la survie du jeune Noor dans un monde qui l’ostracise et le confine à l’extrême pauvreté, le film l’amène à un voyage initiatique passionnant sur les routes caillouteuses du Nord, à bord d’un de ces camions aguicheurs. La dureté du premier volet du long-métrage met en valeur la douceur de ce conte qui se soumet aux codes des plus délicieux road-movies : Noor y rencontre des personnages qui offrent pour la plupart une vision rapide mais sincère de leur vie et de leurs choix, et traverse des paysages superbement filmés, rappelant tantôt l’aridité de la vie de Kushra, tantôt l’espoir que suscitent naturellement les grands espaces.
La nuit, Noor rêve. Des rêves souvent cruels, qui le hantent et le ramènent à sa condition. L’ambivalence du récit se nourrit d’un séquençage extrêmement juste, et sublime le dénouement de ce long-métrage, une merveille à ne pas manquer.