C’est probablement le meilleur des premiers films tournés par Woody Allen, période d’avant Annie Hall, période de comédies débridées, loufoques, absurdes (Bananas, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe, Woody et les Robots…). Guerre et Amour se distingue par une mise en scène plus soignée. Son scénario est aussi mieux structuré, plus fluide, moins limité à une suite de sketches. Et le réalisateur-acteur développe ici, avec une verve incroyable et sur un rythme fou, ce qui deviendra sa marque de fabrique : l’expression d’une angoisse existentielle et métaphysique, sur un mode comique. Il convoque pour cela différents registres. D’abord, la parodie. Côté littérature, le réalisateur revisite à sa façon, décalée, les romans russes du XIXe siècle. Le titre français du film accentue d’ailleurs le rapprochement avec Guerre et Paix de Tolstoï (la traduction littérale de Love and Death, pour une comédie, n’avait pas dû plaire aux distributeurs français de l’époque…). On retiendra plus spécifiquement un dialogue irrésistible, nourri de références aux œuvres les plus connues de Dostoïevski. Côté cinéma, les clins d’œil sont nombreux : à Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine), à Bergman (Persona), etc. Sans oublier les détournements d’archétypes (l’incarnation de la mort en faucheuse). Autre registre, le slapstick : Woody Allen compose un personnage maladroit et gaffeur dans la meilleure tradition américaine. Un personnage dont le nom est une déclinaison russe de Groucho (Marx), modèle dont le cinéaste s’inspire pour le comique de geste, le sens de l’absurde, le débit verbal (en moins agressif, plus timide). Et enfin, les recettes du stand-up : des saillies verbales courtes et détonantes, où se mêlent humour juif (notamment sur l’argent), autodérision, délires intellos, avec des effets anachroniques savoureux. Absolument jubilatoire, cette comédie littéraire, philosophico-potache, est l’un des films préférés de Woody Allen au sein de sa filmographie.