Instrumentalisation d’un sordide fait divers au profit d’une sensibilisation par la voie cinématographique. Ryan Coogler, cinéaste en herbe qui fait ici ses premières armes, semble pourtant avoir conquis le public américain avec le drame social d’Oscar Grant, plus précisément les festivaliers et jury de Sundance l’an passé. Alors que viennent à peine de se taire les cris et se tarir les émeutes de Ferguson, la question se pose. L’Amérique est-elle encore raciste? Fruitvale Station n’interroge pas ni ne répond à une quelconque question de société. Il s’agit là d’un drame, d’un fait divers aussi sordide que d’une banalité horrifiante. Ryan Coogler s’efforce donc de ne pas en faire un simple accessoire porteur d’un quelconque message mais préfère l’option du sensationnalisme. Dès lors, Oscar, qu’il ne cesse de dépeindre comme le roi des hommes, n’est qu’un prétexte pour que le public verse une petite larme.
En effet, si les cinéastes américains dits indépendants s’entendent pour déterrer des sujets sociaux qui fâchent, qui font grincer des dents, peu d’entre eux sont capables de traiter ces mêmes sujets de manière très objective. Ryan Coogler, lui, n’échappe pas à la règle et semble d’avantage obnubilé par la possibilité de faire pleurer son auditoire que d’exposer concrètement des faits. Oscar, brillamment interprété par Michael B. Jordan, acteur révélé lors de la première saison de The Wire et aujourd’hui star montante, est littéralement disséquer par le cinéaste. D’abord sans le sou, sans travail et sans statut social digne de ce nom, le cinéaste s’efforce, en guise d’hommage, de faire de son personnage une véritable victime du système. S’il l’est sans doute, en partie, il n’en reste pas moins que Fruitvale Station peut s’apparenter à une succession de bonnes intentions destinées à la vénération du bonhomme. Le résultat étant que la fin doit être plus glaçante encore, pour marquer le coup. Si ce postulat peut être gênant, il apparaît pourtant que la recette fonctionne parfaitement.
Si en effet toute la démarche n’est pas très louable, synonyme d’huile sur un feu déjà passablement incontrôlable dans les périphéries des métropoles américaines, toujours est-il que Fruitvale Station offre une vision très naturelle d’une telle catastrophe. Bavure policière, provocation, à chacun son avis, même si ici le cinéaste a clairement tranché en faveur d’une victime qu’il s’efforce d’acclamer. Au fond, la méprise du policier menant à la mort du jeune homme est abominable, les circonstances du drame incongrue et le drame social est indéniable. Pour autant, faillait-il faire un film, agrémenté qui plus est des images intimes d’une certaine commémoration, pour faire reconnaître les quelconques torts d’un système qui, dans le fond, n’y peut pas grand-chose. Si pour un premier film, Fruitvale Station est indéniablement bien tourné, Ryan Coogler manque d’un certain discernement, à l’image des cinéastes propagandiste, patriotes jusqu’à l’excès et qui polluent une certaine vision des drames qui foisonnent sur notre planète.
L’Amérique sera et restera encore bien longtemps un terreau fertile aux drames sociales tant les inégalités règnent dans une nation aussi hétéroclite qu’inégale. Peu importe, on peut adhérer ou non au film de Coogler, sans pour autant passé à côté du formidable acteur qui incarne Oscar, toujours le même Michael B. Jordan, très naturel. Par ailleurs, la mise en scène, façon documentaire, de Ryan Coogler s’avère être étonnement bien pensée, sonnant d’une très grande justesse en dépit des intentions mielleuses du script. Un film à voir si ce n’est, au moins, que pour sa culture cinématographique et pour se faire une idée sur un cinéaste et un acteur que nous retrouverons très certainement tout bientôt. 10/20