http://lecinemaduspectateur.wordpress.com/2012/10/25/despues-de-lucia/ | Le cinéma mexicain renaît actuellement en choisissant de ce focaliser sur le pouvoir dénonciateur du cinéma. Voyant dans ce dernier une catharsis qui permettrait de purifier le spectateur et de l’éloigner une fois sorti de la salle de l’escalade de violence rendue possible dans un pays démocratique mais peu stable. Ainsi, les réalisateurs mexicains mettent l’accent sur les problèmes internes du Mexique s’attaquant avec « Miss Bala » (de Gerardo Naranjo, présenté dans la sélection Un Certain Regard à Cannes en 2011) aux problèmes de la drogue qui, bien que gangrenant la figure de l’autorité, touchent surtout des citoyens lambda qui sont victimes d’une menace qu’ils ne peuvent combattre et qu’ils ne peuvent accepter.Mais l’escalade de la violence de Michel Franco, le réalisateur de « Después de Lucia », est une violence de l’intime qui peut alors prétendre à l’universel. Si la question de la drogue est latente mais présente, elle peut se voir comme un des facteurs qui créent les comportements anti-sociaux du film. Cependant à l’inverse du phénomène d’exclusion souvent annoncé, la drogue crée ici une communauté qui rejettent le non-consommateur. Ceci est extrapolé, certes, les comportements à l’encontre de Alejandra reposant sur une haine mais pouvant peut-être s’expliquer dans leur extrême brutalité par la drogue qui nécrose la population en entrant par sa jeunesse. « Despues de Lucia » reflète alors la locution latine « l’homme est un loup pour l’homme ». C’est la destruction d’un congénère qui est le but.
L’extrême dureté du film de Franco est, en complémentarité avec son sujet, due à la recherche de montrer la vie sans utiliser les fioritures du cinéma. Le but n’est pas de raconter une histoire, mais de raconter l’Histoire – la vie. « Después de Lucia » se plaçant comme l’illustration de la dureté de l’adolescence et de création de bouc-émissaire pour exulter les défauts de l’âge ingrat. Les bourreaux ne veulent finalement que transposer leur mal être sur des êtres, perçu comme ennemis, qui l’ont déjà dépasser et qui brillent par leur confiance en eux. C’est le cas de Alejandra. La puissance du film et le trouble qu’il dégage résident alors dans cette recherche de la réalité. De ne montrer que ce que montre la vie et de ne jamais chercher un pathétique ou des effets cinématographiques qui diraient alors au spectateur que les faits sont fictifs, et donc qu’il n’assiste pas réellement à cette mise à mort sociale. Le parti pris de Franco se légitime par la création d’une image-image, théorisé par Godard, amenant alors le cinéma à sa caractéristique de fenêtre ouverte sur le monde. Le réalisateur est maître du détails sur lequel il se focalise, mais il inscrit son regard dans une vision généraliste. Ainsi, modifier l’image ou lui ajouter des effets montreraient la vacuité de l’utilisation d’une image « belle en soi », qui amènerait le cinéma dans une logique de seule contemplation. Certes, toutes les scènes ne sont pas forcément utiles à l’intrigue, mais elles sont le symbole de la vie qui passent. Et surtout, la mise en place d’une routine qui permet à la victime Alejandra de cacher sa descente aux enfers. Ce n’est pas la vie qui changent, mais les entités sociales qui modifient leur regard sur elle, la voyant comme une rival à abattre La collectivité aillant toujours raison du singulier.
Le trouble malsain, qui grandit tout au long du film, est forcément et volontairement accentué par cette recherche du réel qui pousse le spectateur à se questionner sur la véracité de ce qu’il voit: assiste-t-il au fait comme dans un documentaire ou voit-il juste une fiction. Mais Franco cantonne le spectateur dans ses retranchements, amplifiant son pire défaut: l’impuissance. Cette passivité est dérangeante car elle place le spectateur au même niveau que les bourreaux: cautionnant la maltraitance puisque ne pouvant intervenir. Le spectateur n’a comme solution que d’assister à l’horreur. « Después de Lucia » flotte au dessus du spectateur pour mieux le bouleverser, tant au moment du film qu’après. Michel Franco n’est pas un réalisateur hors-pair, puisque son seul effet de style a lieu dans un prologue vain et inutile, mais il parvient à contrebalancer cette faiblesse par un scénario vu comme un assemblage de scènes percutantes. Il cherche l’escalade de la violence, mais à une échelle temporelle lente, perturbant le spectateur dans la durée. Détruisant dans un premier temps le physique (les cheveux, les vêtements), puis le mental, souffrance ultime et perpétuelle. Il amène comme seul échappatoire l’exil, et donc une mort sociale qui devrait amenée une renaissance ailleurs. Mais, c’est là que rentre en compte l’effondrement moral qui devient alors une barrière à la reprise d’une vie sans traumatisme. Nous quittons Alejandra isolée, Michel Franco lui laissant une échappatoire mince d’une vie sans bourreaux, mais d’une vie où elle ne vivra plus.