À la sortie de Después de Lucia, les avis furent assez mitigés. En revanche, qu’on aime ou qu’on déteste, chacun sera probablement d’accord pour dire qu’il s’agit là d’un film qui claque, marque et retourne le spectateur. C’est en tout cas l’effet attendu lorsque Michel Franco décida de réaliser ce long-métrage sur le bullying. Le fourbe, le vicieux, le malotru… Comment nommer ce personnage qui nous trompe du début à la fin par des points de vue changeants ?
Approved by South America. Quelques instants suffisent avant que s’installe le style visuel incontournable des films sud-américains. Une esthétique pâle, froide et pourtant minutieusement travaillée, aboutissant finalement à une certaine forme aussi belle qu’atypique. Dans Después de Lucia, la maîtrise d’une mise en scène amplement fluide devient source de nombreuses prouesses stylistiques en tous genres. Chaque plan reflète l’extrême minutie d’une photographie de toute beauté, sans rechercher la difficulté pour autant. En d’autres termes, l’esthétique s’avère belle et simple à la fois. De quoi être directement associé à une marque de fabrique continentale au même titre que le cinéma argentin…
Une jolie jeune fille comme les autres… On ne le sait pas – ni vous ni moi – mais c’est dès la première apparition d’Alejandra que tout le vice dissimulé du film s’installe. Le spectateur ayant lu le résumé au préalable fera sans doute défiler dans sa tête les différentes raisons qui feraient que cette jolie jeune fille, à priori comme les autres, aurait à subir ce bullying. Elle est là, sous nos yeux, et – jusqu’à preuve du contraire – se porte très bien malgré le récent décès de sa mère. Il ne faut pas longtemps avant que l’on s’attache à cette Ale pleine de charme et très responsable – puisqu’elle semble désormais entretenir son foyer à côté d’un père dépassé par les tragiques évènements. Les deux acteurs s’en sortent merveilleusement bien. Par ailleurs, la voir passer ses premiers jours au lycée, la voir se faire des amis à une vitesse respectables, ne laisse en rien présager l’arrivée des péripéties. Et pourtant…
…qui n’est pas traitée comme les autres. Un incident est vite arrivé, Alejandra en a fait les frais. Tout a changé et la vague de haine à son égard s’est propagée dans le lycée avec la vivacité d’un tsunami. Ceux qui n’ont pas le désir d’ignorer tout simplement la demoiselle iront plus loin dans la folie. Cette dernière aura à subir diverses atrocités dont je ne vous dirai rien, au risque que la surprise vous arrache votre sensibilité comme fut arrachée la vie paisible d’antan à Alejandra. Il faut le voir pour le croire et, sachant que tout cela n’est en fait qu’une transposition cinématographique d’actes on ne peut plus réels – qui arrivent sans aucun doute un peu partout dans le monde, à l’heure où vous lisez ceci –, nous n’en sommes que davantage impliqués.
Un joli sac de viande comme les autres… Michel Franco est cruel. On pourrait lui reprocher de filmer la même abondance de scènes abjectes que Pascal Laugier – ou je ne sais quel réalisateur fréquemment accusé d’être à l’origine d’une violence gratuite. Pour reproduire l’insoutenable inhumanité de certains étudiants à l’origine du bullying, il fallait pourtant bel et bien filmer cette violence sous toutes ses formes. C’était quasiment une nécessité. Il fallait filmer Alejandra comme on aurait filmé un joli sac de viande. Les scènes auxquelles nous assistons sont particulièrement éprouvantes et il est presque impossible d’en sortir de marbre. En assistant à cette torture psychologique, le réalisateur fait de nous des témoins oculaires. Cependant, on ne peut pas témoigner. On ne peut pas empêcher ni prévoir ce qui va se passer. Tout cela relève ainsi de la direction de spectateurs la plus extravagante. Au départ, nous sommes outrés puis, quelques temps après, nous sommes concernés. Ce bullying doit s’arrêter.
Oui mais non… Mais oui, sauf que non. En plus des nombreuses scènes emplies d’extrême violence, c’est – comme il est dit tout en haut – le changement de partis pris du réalisateur, qui a lieu à plusieurs reprises, qui se montre perturbant. Il n’y a aucune forme d’apologie bien évidemment. Juste quelque chose qui ne nous revient pas et demeure déroutant. À première vue, le réalisateur prend la défense de sa protagoniste et nous choque pour mieux nous interloquer et, de fait, nous faire sentir totalement impliqués. On nous force à ingurgiter une quantité gargantuesque de punitions viles et cruelles et je conçois que le principe ne soit pas apprécié de tous. Cependant, tout cela s’avère bouleversé lors des dernières minutes, où l’image toute entière du film en ressort toute transformée par une morale particulièrement malsaine – encore une fois à la manière d’un Laugier – qui devient alors source de questionnements quant au positionnement du réalisateur.
Pas recommandable à tout le monde, Después de Lucía est un long-métrage percutant que l’on subit en même temps que l’on apprécie tout de même la qualité cinématographique. Un film puissant et maîtrisé.