Un homme, géant barbu et bonasse (Hernan Mendoza, quelque chose comme un Bruce Toussaint qu'on aurait soufflé dedans), Roberto, va chercher chez le garagiste une voiture qu'on devine avoir été gravement accidentée. Il part avec, et puis, tout à coup, à un feu rouge, il coupe le contact, jette les clés sur le tableau de bord et s'en va. Cette scène introductive, dans sa simplicité et sa linéarité, vous met tout de suite dans le film.
Attention, chef d'oeuvre. Le film de Michel Franco traite un sujet absolument insupportable -on en sort, très très mal- avec une pudeur et une absence d'effets qui en font un objet unique.
On est ensuite quelques semaines après, dans une autre ville. Roberto a déménagé, trouvé un autre travail (de cuisinier). Avec lui, il y a sa fille, Alejandra (Tessa Ia), encore un visage de bébé sur un corps de femme. Roberto va mal, certains jours il ne supporte plus son travail, il se couche tout habillé, parfois il boit.... Alejandra va très bien, même si un contrôle scolaire révèle qu'elle a fumé. Dans ce nouveau lycée, situé dans un quartier carrément bourgeois, elle se fait tout de suite de nouvelles amies. Mais à personne, elle ne dit que sa mère est morte: elle est restée dans l'autre ville, c'est tout. Elle sort avec la bande, à une fête elle boit trop. Elle couche avec le charmant José (Gonzalo Vega Sisto), qui les filme avec leur portable, ce dont elle est consciente. Le lendemain, la vidéo est sur tous les portables du lycée. C'est une pute. Et le chemin de croix d'Alejandra commence, les harcellements des garçons, les méchancetés des filles menées par la leader de la bande, Camilla (Tamara Yazbek Bernal) qui trouve José à son goût et entend bien se le garder. Devant la passivité d'Alejandra, son manque de défense (mais elle est totalement isolée: son père va mal, elle n'a personne d'autre), le harcellement ne fait que croître, culminant dans une scène abominable où, pour son anniversaire, la bande lui fait manger un gâteau fourré aux excréments. Enfin, comme en montagne un pic succède toujours à un premier pic, il culminera encore au cours d'un voyage scolaire (pourquoi n'a t-elle pas cherché à y échapper?) où les ados, laissés complètement à eux mêmes, sans la moindre surveillance (parents, soyez avertis: n'envoyez JAMAIS vos ados en colo au Mexique!!!!), picolent, font subir à Alejandra le pire -c'est la tournante chez les petits bourgeois.
La fin du film sera d'une cruauté indescriptible.
Alors, devant l'inertie d'Alejandra, on commence à se demander ce qu'il y a derrière cette face lisse d'ado ayant si bien survécu à la mort brutale de sa mère. Elle était dans la voiture au moment de l'accident; un représentant de la compagnie d'assurance suggère que sa mère lui apprenait à conduire, ce que Roberto réfute avec indignation. Mais que s'est il passé, au juste? Est ce qu'elle n'accepte pas cette souffrance comme une expiation, comme pour se punir de quelque chose qui s'est passé, que nous ne connaîtrons pas? C'est une piste que Franco entrouvre, nous laissant libres de la suivre -ou pas. Car rien n'est appuyé, il y a une sorte d'équilibre rare entre la violence, insoutenable, de certaines images, et la retenue avec laquelle l'histoire est menée. C'est magnifique. Attention, chef d'oeuvre!
A part cela, c'est un film dont la projection au lycée devrait être obligatoire..... à partir de la classe de seconde. Des histoires comme cela, en moins dramatiques peut être (et encore, on ne sait pas quels ravages elles font), à la suite de photos pathétiques passées sur Facebook, on en entend parler quotidiennement. Si ce film pouvait donner à réfléchir à quelques foldinguettes....