Un film dérangeant comme les nordiques savent le faire sur la pédophilie. En s'attaquant ainsi à un des sujets contemporains parmi les plus délicats et émotionnellement chargés, Thomas Vinterberg nous livre un thriller magistral sur un individu accusé à tort d'abus sexuels sur des mineurs. Quelques déclarations d'une petite fille déclenchent un engrenage infernal, et du jour au lendemain, le personnage principal, Lucas, interprété magistralement par Mad Mikkelsen, fait l'objet d'une véritable mise au ban par le village : les accusations portées contre lui autorisent subitement tout un déchaînement de violence, en toute impunité. Le voici frappé par ceux qui hier étaient ses meilleurs amis, chassé des magasins à coup de pied et haï par toute la communauté. C'est devenu l'homme à abattre, celui contre lequel toutes sortes d'actes de violence, de mépris ou de haine deviennent subitement permis. On observe aussi à quel point le mécanisme de la rumeur s'enclenche rapidement pour ne plus s'arrêter. A partir de quelques mots d'une enfant, plus tard reniés, on observe que l'imagination des adultes court beaucoup plus vite que celle de leurs bambins. Chaque parent fait dire à ses enfants ce qu'il imagine dans ses pires cauchemars, et peu à peu la rumeur prend de la consistance jusqu'à devenir vérité pour les enfants eux mêmes. La rumeur se nourrit d'elle même, tandis que l'accusé perd toutes chances de se disculper. Et aucune dénégation, pas même celle des enfants eux mêmes, ne parviendra jamais à dissiper totalement cette rumeur, ce doute qui a jamais a rompu la glace. Quelques mots d'un enfant suffisent à rompre des amitiés vieilles de 40 ans, preuve du rôle destructeur de la rumeur.
Thomas Vinterberg est manifestement à l'aise dans les non dits, les tabous familiaux. Il adore disséquer la famille, pour la présenter sur son jour le plus noir. A mon sens, on aurait cependant tort, comme certains le font, d'en tirer des conclusions d'ordre général sur la famille, en en faisant le lieu par excellence du secret et de l’hypocrisie. C'est se concentrer sur le pire pour s'exprimer sur le tout. Pour autant, Vinterberg a l'art de nous déranger, de nous mettre dans des situations d'autant plus inconfortables qu'elles s'adressent à notre vie familiale, celle que l'on conçoit justement comme la moins susceptible d'être corrompue.
Ne voyons pas non plus dans La Chasse un plaidoyer général en faveur des personnes accusées de pédophilie. Car souvenons nous que 14 ans avant, Vinterberg réalisait Festen, qui en prend l'exact contre pied. On y constate toute la difficulté qu'à un homme de mettre au grand jour les crimes pédophiles dont son propre père s'est rendu coupable. Ici, le tabou et les non dits forment comme une barrière, et font de la victime l'ignoble mouton noir qui remet en question l'ordre familial et l'autorité du père de famille. Encore une fois, le soupçon est porté contre la famille. Et cette fois ci, il joue contre la victime. La Chasse ne peut être compris sans Festen. Pour Vinterberg, la question de la pédophilie doit être traitée en dehors de l'émotion, en dehors de la cellule familiale : sans quoi, elle est traitée passionnément, et toujours en faveur de l'ordre établi. Soit le coupable est protégé par l'inertie de son entourage, qui refuse d'admettre que leur monde est corrompu, soit l'innocent est accusé brutalement par l'ensemble de la communauté incapable de surmonter ses soupçons. La question est d'une particulière actualité, et le sera pendant longtemps encore. Ces deux films invitent à un traitement équilibré de la question, dans le silence de l'instruction... Reste à savoir si la société fait suffisamment confiance à ses institutions, que ce soit la justice, l'école ou la police, pour traiter le problème si épineux de la pédophilie... Là est sans doute le vrai problème.